Au club Chèvrefeuille à Lyon, les séniors préfèrent la belote à la présidentielle 

À la rencontre des Français (3/10) :  À moins d’un mois de l’élection présidentielle 2022, les dix journalistes de la rédaction de l’Écornifleur sont partis en reportage à la rencontre des Français pour sonder leurs attentes : entre espoirs et désillusions.

Reportage un vendredi après-midi autour d’une partie de belote au club séniors Chèvrefeuille du 6^e arrondissement de Lyon qui compte une centaine d’adhérents.

« Cartes sur table, on ne parle pas politique ici », lance Jean-Pierre, avant d’esquisser un large sourire, perceptible malgré le masque. Jean-Pierre, c’est le benjamin de l’association. Âgé de 66 ans, il a rejoint le club séniors Chèvrefeuille il y a six ans. « J’avais besoin de m’occuper, de rencontrer du monde. Ici, j’ai trouvé des amis, une famille », confie le retraité entre deux parties de belote. L’adresse de cette « famille » de jeu : le 97 rue Boileau, dans 6^e arrondissement de Lyon, quartier chic de la ville. Le club est installé dans un local de plain-pied mis à disposition par la mairie. Ouvert toute l’année, vacances et jours fériés inclus pour une cotisation annuelle de 40 euros, les 130 adhérents viennent en fonction des activités : tarot, belote, échec, scrabble, bridge et ping-pong.

Tapis vert, cartes en main, les joueurs déposent une à une leur carte. A la table de Jean-Pierre, il y a quatre autres joueurs : Solange, Suzanne, Colette et Paul, tous prêts à gagner cette énième partie.

Ce jour-là, autour de la table, alors que le gouvernement a annoncé la mise en place d’un pass vaccinal dès le lundi 24 janvier, la crise sanitaire est l’un des sujets de discorde. Pour Solange, 75 ans, ancienne professeur d’arts plastiques, le quinquennat d’Emmanuel Macron a été difficile dû aux grèves de 2019 et à la crise sanitaire. Pour Suzanne, « les grèves, la crise sanitaire ne sont pas des excuses, tous les présidents ont leur lot de difficulté », et selon elle, Emmanuel Macron « manque d’expérience et de charisme ». Jean-Pierre tente de calmer le jeu.

Suzanne, pull blanc et maquillage léger, se distingue de ses amis par son accent du sud. Elle a vécu 19 ans à Nice et s’est installée à Lyon il y a 10 ans. Lorsque la présidentielle est évoquée, la retraitée de 88 ans n’est pas très bavarde. « La politique, c’est secret, on n’en parle pas », lance-t-elle. La seule chose dont elle est certaine et qu’elle accepte de confier : elle votera pour un candidat de droite à l’élection présidentielle. Solange, elle, se sent davantage proche des candidats de gauche. Lors de cette présidentielle, elle attend une prise en considération des séniors. « J’aimerais qu’il y ait plus de mesures concernant les personnes âgées. Je voudrais une revalorisation de la retraite et la baisse des prix des maisons de retraite », détaille Solange. Le quinquennat d’Emmanuel Macron a été marqué par l’échec de la « loi relative à la dépendance » qui devait améliorer la situation des personnes âgées dépendantes.

“Tout sauf Eric Zemmour”

Un des points sur lequel les séniors semblent s’accorder : ils n’adhèrent pas aux idées d’Éric Zemmour. « Tout sauf Éric Zemmour », lance même Michelle, 92 ans, qui se joint à la conversation. La nonagénaire est choquée par les propos du candidat d’extrême droite sur le Maréchal Pétain. En octobre 2019, Éric Zemmour a affirmé sur la chaîne CNews que « Pétain avait sauvé les Juifs français ».

Marie-Rose, intriguée, s’approche, elle aussi, et entre en jeu. Les deux femmes sont amies depuis plus de 20 ans. Résidant dans le 6^e arrondissement de Lyon, la retraitée, ancienne couturière, vient au club tous les jours. Elles parlent rarement de politique entre elles, mais Marie-Rose partage l’avis de son amie. Elle aussi en est certaine : elle ne votera pas pour Éric Zemmour. Malgré une santé fragile avec plus de 18 opérations, Marie-Rose ne fera pas de procuration et compte aller voter en personne les 10 et 24 avril prochain. « Voter, c’est important, c’est un devoir », explique-t-elle. Solange, elle, craint que beaucoup de jeunes n’aillent pas voter. « Les jeunes doivent voter, c’est leur avenir qui est en jeu, c’est à eux de jouer », lance-t-elle en jetant les dés et en reprenant sa partie de belote.