À la rencontre des Français (7/10) : À moins d’un mois de l’élection présidentielle 2022, les dix journalistes de la rédaction de l’Écornifleur sont partis en reportage à la rencontre des Français pour sonder leurs attentes : entre espoirs et désillusions.
Située à une centaine de mètres de la place Gabriel Péri, à Lyon, la chicha El Amir accueille des habitués. L’Écornifleur s’y est rendu le soir de la demi-finale de la Coupe d’Afrique des Nations entre le Sénégal et le Burkina Faso. Autour des chichas, les discussions font des va-et-vient entre le match, les anecdotes du quotidien et la politique.
Ce 22 février, à la chicha El Amir, situés à la Guillotière, à Lyon, les habitués se sont réunis pour regarder le match opposant le Burkina Faso au Sénégal pour une place en finale de la Can 2022. Dans un coin de l’établissement, une télé retransmet la demi-finale. Quarante-et-unième minute de la demi-finale, l’attaquant sénégalais Sadio Mané vient de s’écrouler dans la surface de réparation burkinabé. Les joueurs sénégalais réclament un pénalty. Bilel, assis dans un fauteuil, interrompt sa conversation quelques instants pour suivre l’action. Le pénalty est refusé. La discussion reprend entre les hommes présents, autour des chichas. «Je voulais être aide-soignant, mais avec l’obligation vaccinale j’ai finalement dit “non”», reprend Bilel. Le trop d’effets secondaires, suite à sa première dose, l’a dissuadé d’en faire une seconde. Celui qui enchaine les missions d’intérim poursuit : «C’est trop compliqué, on dirait qu’on veut que tu restes à ne rien faire ». Il interrompt sa démonstration, l’un de ses compagnons de banquette s’en va. C’est la mi-temps. Les salutations et « à la prochaine » décousent le fil de la discussion.
“Je ne veux pas que Macron passe, tout le monde peut passer, mais pas Macron”
Bilel se reconcentre pour parler de l’élection, pour laquelle il se sent « concerné ». « Je ne veux pas que Macron passe, tout le monde peut passer, mais pas Macron », tranche Bilel. Pour lui, les deux ans de gestion de la Covid-19 « ne passent pas ». Celui qui a eu une expérience militaire chez les parachutistes ne porte pas l’actuel président dans son cœur. « Pour les moins de 35 ans, il n’y a rien », martèle-t-il. Emmanuel Macron lui semble être un président des autres, des plus âgés, des plus riches. L’élection ne passionne pas les quatre personnes qui l’accompagnent. Bilel conclut : « on dirait qu’il fait tout pour bloquer le pays». Haile, chicha aux lèvres, pose ses yeux ailleurs, sur la télé. Lui est arrivé en France en 2015, depuis l’Éthiopie. Pas encore naturalisé, il ne peut voter à cette élection. La deuxième mi-temps va commencer. Bilel doit rentrer chez lui, à Villeurbanne. Il sourit chaleureusement aux habitués puis s’en va en lâchant un : « On se revoit bientôt ».
Première présidentielle pour Kasmagan
Un trio reste à la chicha : ce sont des supporters du Sénégal. Parmi eux, Haile, 48 ans, est le plus attentif au match. « Je viens de miser 10 € au tabac pour le Sénégal », s’amuse-t-il. Ses deux compères le taquinent en amharique. Haile fait régulièrement le trajet Vénissieux-Guillotière pour chicher avec ses amis. El Amir est situé à 100 mètres de la place Gabriel Péri. Deux mois plus tôt, l’émission « Face à la Rue » de CNEWS s’est installée sur la place, pour réaliser un direct mouvementé avec le médiatique Président par intérim du Rassemblement National, Jordan Bardella. Selon Haile, l’agitation n’est plus d’actualité. « Le quartier va mieux », assure-t-il. Lui déplore plutôt la situation à Vénissieux. Il partage une anecdote pour expliciter son propos : « J’ai acheté un vélo à 200€ pour mon fils. Cinq jours plus tard, on le lui vole. Je vais à la police, mais ils me disent qu’ils ne peuvent rien faire ». « Mais ça va tu es riche ! », plaisante son ami Kamasgan.
Kasmagan est arrivé en France la même année qu’Haile, il est arrivé d’Éthiopie lui aussi. Entre la recherche d’emploi, l’amoncèlement de papier à remplir, et des « progrès à faire en français », l’intégration d’Haile n’est pas de tout repos. Celui qui est technicien de maintenance ne se plaint pas, mais s’il y avait une chose à changer en France, ce serait « la préfecture ». « Pour un rendez-vous c’est six mois d’attente. Six mois ! », s’exclame-t-il. Ses amis acquiescent en souriant. Pour Kasmagan, la situation est différente. Arrivé à Lyon, il y a six ans, il a été naturalisé en 2020. En avril prochain, il pourra voter pour la première fois à l’élection présidentielle. Il reste discret sur son intention. « Je suis fatigué, j’ai mal à la tête », oppose-t-il en refus poli lorsque les questions sur la politique arrivent.
Le match reprend en intensité, captant l’attention de Haile. Le quadragénaire le sent : « Ça va finir aux tirs au but ». Le score final, lui donne tort, 3-1 pour le Sénégal au terme du temps règlementaire. Mais qu’importe, le pari est gagné.
Et pour la présidentielle 2022 ? Bilel : « Je ne veux pas que Macron passe, tout le monde peut passer, mais pas Macron ». Kasmagan : Votera pour sa première élection présidentielle en France, mais ne souhaite pas s’exprimer. Haile : Non-naturalisé, il ne peux pas voter à ces élections. |