La mode est à l’urbex. Les adeptes de cette pratique, qui consiste à explorer en toute illégalité des lieux abandonnés et fermés au public, se multiplient. Menace ou valorisation d’un patrimoine perdu ?

Un grand patrimoine implique de grandes responsabilités… que Lyon peine à assumer entièrement. En dépit de son efficacité en la matière, la ville renferme encore bien des monuments laissés à l’abandon, dont les murs portent en eux une partie de l’histoire lyonnaise. Les projets de rénovation aboutissent rarement, laissant ces lieux historiques tomber en ruine et dans l’oubli. Seuls les urbexeurs connaissent encore les chemins qui y mènent, et ils les empruntent avec respect : “ne laisser que des empreintes de pas, ne rapporter que des photos”, telle est la règle d’or de l’urbex.

Une plongée dans l’histoire

Explorer un lieu sans se renseigner sur son histoire ? “Ça n’a aucun intérêt”, commente l’urbexeur Anonymous, contacté via Instagram. Mais c’est avant tout sur le terrain que l’on rencontre l’histoire, au détour d’un vieux meuble ou d’un tableau poussiéreux. “Il m’est arrivé de tomber sur des journaux d’avant-guerre. Je ne pouvais m’arrêter de lire au jour le jour les nouvelles, en me disant : ‘mais ils ne voyaient pas que tout aller péter ?’ ”, raconte-t-il. Des voyous, les urbexeurs ? Plutôt des amoureux d’histoire.

La part historique, au sens d’Histoire avec un grand H, est plaisante, mais autant aller visiter Versailles ou les châteaux de la Loire. La petite histoire me plaît davantage, une vieille ferme, une ancienne maison bourgeoise…”

— Anonymous

Cette histoire intimiste ne s’apprend pas à l’école, elle se vit. Et à chacun sa sensibilité. Ainsi, Merry, une jeune urbexeuse, prend plaisir à explorer des lieux abandonnés dans les années ’90 qui la ramènent à son enfance, tandis que le photographe Olivier Cretin leur préfère les bâtiments construits aux alentours du XIXème siècle.

L’urbex permet aussi d’immortaliser ces lieux en danger : tous trois partagent les photos de leurs explorations sur internet. “Si j’ai commencé à prendre des photos des fresques des églises, c’était en me disant que si un jour on les restaurait, je pourrais montrer comment c’était à l’origine”, explique Anonymous, qui espère voir ces lieux rénovés.

Le tag : dégradation ou appropriation ?

L’engouement croissant pour l’urbex n’est pas sans conséquence : les explorateurs se multiplient, pas tous bien intentionnés. “Les nouvelles générations cherchent à se faire peur, à impressionner les copains en prenant des risques, ou encore à obtenir des likes sur Youtube”, dénonce Olivier Cretin. Et de critiquer les tags réalisés dans les lieux abandonnés, qu’il perçoit aujourd’hui comme de la dégradation.

L’église du Bon Pasteur à Lyon vers 1907 et aujourd’hui. © Archives de Lyon (gauche) / Olivier Cretin (droite)

CHP, graffeuse, s’en défend. L’usine désaffectée où elle se cache pour taguer, elle s’y est d’abord rendue pour explorer le lieu. Dans ses mots, intérêt pour l’histoire et pour le tag se mêlent : “chaque pièce est une découverte, des vieux documents aux graffitis d’autres graffeurs.” Difficile pour elle d’admettre que l’on puisse être puni pour avoir tagué un bâtiment abandonné : “je ne vandalise pas, je décore seulement un mur. Le graff embellit ces lieux abandonnés”. Une autre façon de vivre le patrimoine, mais au-delà, de lui “redonner vie”.