Par méconnaissance du droit de grève ou crainte du jugement dans leur entreprise, les salariés des TPE et PME font partie des grands absents de la mobilisation lyonnaise contre la réforme des retraites.
Difficile de les repérer au milieu de la foule. Entre les drapeaux rouges des cheminots, les blouses blanches des agents hospitaliers et les banderoles des enseignants, les salariés des petites entreprises étaient introuvables pendant la manifestation du 16 janvier à Lyon. Les TPE et PME représentent pourtant 99% des entreprises françaises et embauchent plus de 6 millions de salariés.
Leur absence en manifestations ne signifie pas pour autant une absence d’intérêt pour le mouvement contre la réforme des retraites. Mais pour ces salariés, il est difficile de savoir vers qui se tourner pour s’informer sur la grève : il n’y a pas de délégués syndicaux dans les entreprises de moins de cinquante salariés. Pour obtenir des informations sur leur droit à faire grève, les salariés de ces entreprises doivent donc se tourner vers l’extérieur. La CGT, arrivée en tête des élections TPE de 2017, est souvent sollicitée pour répondre à leurs questions.
Une méconnaissance du droit
A la permanence de l’Union départementale du Rhône de la CGT, Mehdi Larbi fait état d’appels, de mails ou de visites des salariés de ces petites entreprises. « Depuis le 5 décembre, le nombre d’appels est assez constant », témoigne-t-il, jusqu’à trois par jour. Leurs questions sont souvent simples : ont-ils le droit de faire grève ? Comment se déclarer en grève ? Peut-on faire grève moins d’une journée ? « Il y a vraiment un manque de connaissance de leurs droits », juge Mehdi Larbi.
Ce constat est partagé par Henri Montjoie. Jeune ingénieur, il travaille dans une PME spécialisée dans les micro-ondes et hautes fréquences installée à Décines-Charpieu. « Je sais que j’ai le droit de faire grève, c’est plutôt au niveau des modalités pratiques que je ne sais pas trop », explique-t-il. S’il pense important de protéger le système de retraite par répartition et soutient le mouvement social, il n’a jamais fait grève. Il est quand même allé manifester, en dehors de ses horaires de travail, le samedi 11 janvier, « pour que les cheminots et ceux qui font grève sachent qu’ils ne sont pas tout seul et que même si on ne fait pas grève, on les soutient ».
Pour convaincre les non-grévistes de se joindre aux manifestations, les horaires de celles-ci sont décalés. A Lyon, les manifestations ont lieu à l’heure de la pause déjeuner plutôt qu’en début d’après-midi. « Pourquoi on manifeste à 11h30, aujourd’hui, à votre avis ? » ironise Claude Vagneck, le secrétaire de l’Union locale de la CGT des 5e et 9e arrondissements de Lyon. Il y a de nombreux allers-retours dans l’escalier en bois entre son petit bureau et la cuisine carrelée de blanc de la permanence, où café et croissants sont servis. « Ils vont manifester, ils rentrent, ils reprennent leur activité professionnelle », résume-t-il.
« Beaucoup de gens culpabilisent »
Cette stratégie n’est pas toujours suffisante. Dans les TPE et les petites PME, l’attachement à l’entreprise et la volonté de ne pas la desservir peuvent expliquer la décision de ne pas faire grève. « Personnellement, si je fais grève, ça impacte mon entreprise négativement sans bloquer personne », déclare ainsi Henri Montjoie. Ce genre de discours est confirmé par Claude Vagneck. « Beaucoup de gens culpabilisent », analyse-t-il. « Il y a une pression du “si t’es pas là, le boulot se fait pas” ».
Mais Claude Vagneck insiste surtout sur le fait que les salariés grévistes « s’exposent face à leur employeur ». Ses paroles font écho à celles de Mehdi Larbi, qui relate avoir ressenti une certaine gêne, une crainte de la part des salariés les sollicitant : « Les gens sont suspicieux, ils n’osent pas dire dans quelle entreprise ils travaillent ». La crainte du jugement des collègues n’est pas à sous-estimer non plus : difficile d’être le seul à faire grève dans une petite entreprise où tout le monde se connait.
Amandine Miallier