À la rencontre des Français (8/10) : À moins d’un mois de l’élection présidentielle 2022, les dix journalistes de la rédaction de l’Écornifleur sont partis en reportage à la rencontre des Français pour sonder leurs attentes : entre espoirs et désillusions.

Entre champagne, entremets et affaires… L’Écornifleur s’est glissé le 21 janvier dans une loge du stade de l’Olympique Lyonnais, où quelques chanceux ont profité du derby contre Saint-Etienne. 

Stade OL, 18 h 30, le 21/01/2022, une heure avant l’arrivée du public.

19 h 30, le 21 janvier : ouverture des portes du Groupama Stadium pour l’un des matchs les plus attendus de l’année à Lyon : le derby OL-ASSE. Cette fois-ci, pas de rassemblement de supporters, ni de file d’attente interminable… l’ambiance est bien plus calme que ne le veut la tradition. Pour cause, seuls 5.000 spectateurs ont le privilège d’assister au match, conformément aux restrictions imposées par le gouvernement pour endiguer l’épidémie de Covid-19. Ce soir-là, les abonnés tirés au sort, les propriétaires de loges et leurs invités sont les heureux élus que le club a choisi de recevoir. L’occasion pour ces fidèles de rembourser leurs abonnements coûtants au minimum 190 euros par an. Le montant le plus cher s’élevant à 170 000 euros, pour les loges. Cela fait longtemps qu’une telle soirée n’a pas eu lieu : les supporters s’étaient déjà vus refuser l’accès au stade suite au débordement d’un supporter lors du match OL-Marseille, ayant condamné le club à jouer à huis-clos en décembre. 

19 h 50, loge 3.070, secteur Sud-Est, tous les invités sont arrivés. À travers la porte, laissée ouverte pour aérer la pièce conformément aux recommandations sanitaires, on découvre plusieurs petits groupes chacun répartis sur une table différente. Proche du bar, à l’entrée de la loge, sont assis le locataire du lieu et ses deux collaboratrices, directrices de ses hôtels. Tous trois sont occupés à consommer champagne, foie gras de saumon et risotto d’asperges. Ensuite, debout au centre de la pièce de 30m2, deux employées du fournisseur logistique des hôtels et leurs époux discutent du match. Juste à côté d’eux, debout autour d’une table, trois jeunes entrepreneurs à l’origine d’une application de transactions goûtent aux patatines et à la charcuterie. Enfin, face à la vitre qui donne sur le stade, Thomas et Pierre, techniciens dans le secteur industriel, ont été invités par leur patron, client de la chaîne hôtelière du propriétaire, à assister au match. À leur côté, Clément, serveur attitré à la loge, leur annonce le menu. 

“Le club se devait de satisfaire cette clientèle”

À peine Clément a-t-il le temps de finir, qu’il est interrompu par deux hommes en costume. « Je vous prierai de bien vouloir vous asseoir sur les chaises que nous avons exceptionnellement installées, de respecter ces consignes, car la préfecture nous surveille », indique Christian, responsable du service. « On a déjà beaucoup de chance de pouvoir ouvrir les loges avec le Covid, l’OL a dû négocier », explique-t-il ensuite à l’Écornifleur. « Le club se devait de satisfaire cette clientèle », estime-t-il.

“Soit ils viennent l’année prochaine, soit ils utilisent leur place pour un autre match”

21h00, emmitouflés dans leurs écharpes bleues et rouges offertes par le club, les invités des loges prennent possession des gradins. 21h15, but sur penalty de Lyon ! Oubliant les gestes barrières, les supporters de la loge 3.070 se serrent dans les bras. Pour Laurence, employée chez Safran – entreprise fournisseuse – et son époux, ce but a une saveur particulière. « On pense à nos amis qui avaient payé leur place et regardent le match à la télé » – payée environ 70 euros – déclarent-ils. Pour eux, pas de proposition de remboursement : « soit ils viennent l’année prochaine, soit ils utilisent leur place pour un autre match », explique Clément, le serveur de la loge, alors qu’il sort du four le plat principal. 

Il arrive souvent que pendant les matchs les entreprises signent des contrats”

21h45, l’arbitre siffle la fin de la première mi-temps. Les invités retournent à l’intérieur de la loge et donnent leurs manteaux au serveur. Qu’ils portent une veste à fourrure, une doudoune ou des mentaux longs, tous sont heureux de retrouver la chaleur de la loge. Au menu : crozets au parmesan et suprême de poulet. Mike, un Anglais qui a eu la chance de pouvoir passer les frontières pour raison professionnelle, est ravi de découvrir la gastronomie française. Ses deux homologues français l’encouragent à prendre du fromage de la Mère Richard et du vin Chapoutier. Entre deux gorgées, ceux-ci ne manquent pas de parler de leur nouveau projet, une application de transaction pensée pour les entreprises. « Il arrive souvent que pendant les matchs les entreprises signent des contrats », commente Clément.

Masque Kenzo et Rolex

À 23h00, le match à peine finit, le propriétaire de la loge et ses deux collaboratrices quittent le stade déçus par un match qu’ils jugent « ennuyeux et dépourvu de l’ambiance habituelle ». Sans prendre le temps de goûter à l’entremet trois chocolats et à la brioche de chez Pralus, fameuse chocolaterie de la région, l’hôte se retire. Il remet sur lui son masque Kenzo, regarde sa Rolex, remercie ses invités et quitte les lieux pour rejoindre sa place de parking. Les jeunes entrepreneurs partent de la loge peu après, une soirée les attend dans le 6e arrondissement. Malgré l’épidémie de Covid qui bat son plein, les jeunes hommes ne veulent pas « s’empêcher de vivre ». Ils partent rejoindre le taxi qu’ils avaient commandé à l’avance. 

Les deux couples les suivent de peu. Enfin, à 23 h 45, la sécurité, toque à la fenêtre de la loge : « Messieurs, le stade va bientôt fermer », annonce l’agent. Les deux techniciens Thomas et Pierre fouillent leurs poches à la recherche d’un billet à laisser au serveur de la loge pour le remercier. « C’était super, merci beaucoup », déclarent les deux hommes, qui une fois sortie n’aspirent qu’à une chose : « Le retour des supporters dans les stades, les loges ça manque d’ambiance ». 

Et pour la présidentielle 2022 ? 

Le propriétaire de la loge :  « Bien sûr que j’irai voter, je connais des politiques et je m’intéresse à la politique ».

Clément, serveur de la loge : « En tant que jeune, je ne me retrouve dans aucun programme, je ne sais pas encore ce que je ferai ».

Mike : « Je ne suis pas Français, mais chez nous (Angleterre) la situation n’est pas mieux, c’est la catastrophe chez les Conservateurs ». 

Thomas : « Je n’ai pas regardé les programmes. Avec le Covid, j’ai d’autres préoccupations, mais je vais me pencher dessus ».