Une des lois anti-avortement les plus restrictives du pays est entrée en vigueur au Texas le 1er septembre. L’Etat fédéral organise sa contre-attaque pour tenter de préserver ce droit fondamental protégé par la Constitution américaine.
En 1973, la Cour suprême américaine rendait un arrêt historique, Roe v. Wade. Pour la première fois, le droit des femmes à avorter était protégé au niveau fédéral. Près de cinquante ans après, le 1er septembre, la loi texane dite “du battement de cœur” entrait en vigueur. Une entaille supplémentaire à cet héritage cher aux progressistes qui vient relancer la bataille juridico-politique autour de l’avortement.
Une loi anti-avortement inédite
“Le Texas ne peut pas supprimer l’accès à l’avortement car le droit fédéral est supérieur aux droits des Etats”, rassure Frédéric Heurtebize, maître de conférences en politique américaine à l’université Paris-Nanterre. “Mais il s’arroge le droit de le limiter.” Promulguée par le gouverneur républicain Greg Abbott en mai dernier, le “Texas Senate Bill 8” (S.B.8) interdit l’avortement :
- Dès la détection de battements de cœur chez l’embryon (six semaines de grossesse)
- Y compris en cas de viol ou d’inceste
- Seule exception : une urgence médicale mettant en danger la femme enceinte
“Ce qui est inédit dans cette loi, c’est que l’Etat délègue aux particuliers le pouvoir de dénoncer toute personne ayant contribué à aider une femme à avorter. Et cela pour leur éviter d’être attaqué par les cours fédérales”, complète l’enseignant-chercheur. Les justiciers pro-life sont ainsi encouragés à la délation, récompense de 10,000$ à la clé. L’Etat texan, lui, se dédouane de toute atteinte au droit à l’avortement.
Première victoire pour le gouvernement
“Cette cour ne permettra pas que cette privation choquante d’un droit si important se poursuive un jour de plus“, a noté ce mercredi le juge fédéral Robert Pitman. Par conséquent, sa décision de justice bloque temporairement l’application de la loi texane. Elle fait suite à la plainte déposée le 9 septembre dernier par le gouvernement fédéral contre l’Etat du Texas. Une offensive juridique ayant pour cible une loi qualifiée de “clairement inconstitutionnelle au regard de la jurisprudence de la Cour suprême” par le ministre de la Justice, Merrick Garland.
“Cette intervention fédérale n’est pas une procédure habituelle. Mais c’est l’outil le plus rapide pour défendre la suprématie de la constitution américaine sur la loi des Etats”, souffle Frédéric Heurtebize.
Inquiétudes autour de la Cour suprême
De son côté, la Cour suprême américaine a tranché dès le 2 septembre. Saisie en urgence par des associations de défense de l’avortement, elle a voté à cinq voix contre quatre, de ne pas suspendre la mise en application de la loi restrictive. La raison invoquée ? “Des questions de procédures complexes et nouvelles” ne permettant pas de se prononcer sur la constitutionalité de la loi.
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Une décision qui a du mal à passer du côté du président Joe Biden, qui tente de composer avec une Cour suprême entièrement remodelée par son prédécesseur Donald Trump. En effet, au cours de son mandat, l’ancien président américain avait pu nommer trois juges conservateurs réputés pour leurs positions anti-avortement au sein de la plus haute juridiction du pays.
Une Cour suprême conservatrice peut-elle pour autant détricoter le droit à l’avortement ? “Dans le système de common law anglo-saxon, les décisions de justice créent un précédent auquel les Cours doivent se tenir. On parle alors de binding precedent”, explique l’américaniste Frédéric Heurtebize. Donc, les arrêts emblématiques de la Cour suprême (voir timeline ci-dessous) seraient, a priori, de solides garanties.
“Là, ce que l’on peut craindre, c’est que la Cour revienne sur ces précédents bien établis. Car il faut prendre en compte la tendance actuelle à laisser de plus en plus de marge de manœuvre aux Etats”, analyse le chercheur, perplexe quant à l’avenir de Roe v. Wade aux Etats-Unis.
La décision en première instance de la Cour suprême ne signifie pas pour autant qu’aucune décision invalidant la loi ne pourra être rendue plus tard. “Simplement cela prendra du temps. Il faut désormais attendre que quelqu’un ait un intérêt à agir et engage une procédure. Elle passera de la Cour de district à la Cour d’appel pour finir à la Cour suprême”, prévoit Frédéric Heurtebize. Affaire à suivre donc…