A Lyon, les égoutiers se mobilisent pour conserver leurs droits de partir à la retraite à 52 ans. Dans cette profession où l’espérance de vie est inférieure de 17 ans à la moyenne nationale, la réforme des retraites, qui leur impose de partir à 62 ans, est inenvisageable.

A Lyon, les égoutiers craignent de profiter de la retraite dans leur tombe. 9/01/2020 © Égoutiers en Colère

La colère gronde dans les sous-sols lyonnais. Jeudi 9 janvier, quelques mètres en-dessous de la manifestation intersyndicale contre la réforme des retraites, un autre cortège évolue : celui des égoutiers. Après deux kilomètres dans les réseaux souterrains, ils refont surface à proximité de Bellecour : combinaisons oranges, casques blancs et masques de tête de mort, ils se joignent au peloton principal, sous les acclamations. Peu visibles dans les médias, invisibles au quotidien, l’espérance de vie actuelle des égoutiers est de 62 ans. C’est l’âge auquel ils pourront prendre leur retraite avec la nouvelle réforme.

« Vous pouvez marcher dans une poche de gaz et mourir sur place »

Depuis 2006, des études successives de l’INRS, de l’INSERM et de l’ANS ont dévoilé l’exposition quotidienne des égoutiers à des agents toxiques comme le méthane et l’hydrogène sulfuré, à l’origine de pathologies graves. « Tous les produits qui sont rejetés dans les égouts se mélangent dans le réseau, et les égoutiers respirent ça. Et c’est quelque chose qui, quelque part, va nous faire mourir avant les autres », s’alarme Pierre*, agent technique de 48 ans.

A cause de ces conditions de travail difficiles, les égoutiers bénéficient, depuis 1950, de la « bonification d’insalubrité ». Celle-ci leur permet de partir en retraite dix ans avant les autres fonctionnaires, à condition d’avoir travaillé 20 ans dans l’assainissement, dont la moitié dans les réseaux souterrains. Une bonification que la réforme des retraites en cours compte supprimer, et dont l’accès n’a cessé d’être restreint depuis une quinzaine d’années. Aux conditions de travail difficiles s’ajoute une pression grandissante de leur hiérarchie : « Aujourd’hui, notre employeur nous demande de chronométrer chaque tâche », raconte Eric*, chef d’équipe. « Le texte régit sur le fait d’être sous terre. Donc quand vous sortez d’un égout, vous n’êtes plus considéré comme insalubre. » En effet, seules les heures de travail souterrain sont comptabilisées pour accéder à la « bonification d’insalubrité ». « Impensable », selon Pierre. « Il suffit de descendre dix minutes en réseau, et vous pouvez choper un microbe, vous pouvez marcher dans une poche de gaz et mourir sur place. »

Dans la réalité, très peu d’égoutiers partent en retraite à 52 ans, à moins d’être entrés très jeunes dans le secteur. Certains sont contraints, pour des raisons de santé, de partir sans taux plein avec une retraite très modeste. Leur salaire, à peine au-dessus du SMIC en début de carrière, est rehaussé de primes, mais celles-ci échappent aux cotisations pour la retraite. Éreintés, certains préfèrent changer de poste en fin de carrière pour sortir des réseaux souterrains, quitte à renoncer à la bonification d’insalubrité. « Quand on arrive, comme moi, à l’approche des 50 ans, on ressent les années derrières », souffle Pierre. « Le corps est abîmé, les intestins sont abîmés. »

« Mort pour Lyon »

Le collectif « Égoutiers en colère » regroupe environ la moitié des agents de la métropole lyonnaise, syndiqués et non-syndiqués. Le but de ce collectif est aussi de rendre visible le métier. « Les gens ne nous connaissent pas », regrette en effet Marc*, qui a rejoint les réseaux d’égout il y a un an, après trente-cinq ans dans la métallerie. Ils se mobilisent donc au renfort d’une imagerie spectaculaire et morbide. En manifestation, leur arrivée ne passe pas inaperçue : le 17 décembre 2019, c’est une ovation qui avait salué l’arrivée d’une faucheuse tirant un cercueil de bois, marchant à la rencontre du cortège intersyndical. A l’intérieur du cercueil, un mannequin équipé d’un gilet jaune et d’un casque blanc portait autour du cou l’écriteau : « Mort pour Lyon ».

Les égoutiers dénoncent enfin la difficulté de se faire entendre par leur hiérarchie, à la métropole. « Si on veut discuter, c’est des sanctions tout de suite. Il n’y a plus d’intelligence », résume Eric. Contactée à ce sujet, la métropole n’a pas souhaité nous répondre. « On n’arrive pas à comprendre l’intérêt de l’employeur à nous sabrer sur quelque chose qui ne lui coûte rien », avoue encore Eric, pointant le peu de personnes concernées par le régime des égoutiers : 209 agents sur Lyon. « On n’est pas des privilégiés », ironise-t-il. « Le travail qu’on fournit est essentiel : la salubrité publique. »

* A la demande des personnes citées, tous les prénoms ont été modifiés.

Isabelle Missiaen

Dernières nouvelles de l’Assemblée

La version initiale du projet de réforme des retraites, passée en force par le gouvernement à l’assemblée nationale samedi 29 février, intègre un amendement déposé par les communistes concernant le statut des égoutiers : ceux qui ont commencé à travailler dans les réseaux avant le 1e janvier 2022 pourront prendre leur retraite à 52 ans. Les autres rejoindront le régime universel.