Depuis le 12 mars, toutes les écoles de France sont fermées en réponse à l’épidémie du Covid-19. Une décision qui a nécessité une organisation rapide du corps enseignant, afin de garantir la continuité pédagogique. Témoignage de trois institutrices qui nous racontent la mise en place d’un dispositif d’enseignement inédit. 

Pour les quelques 378 000 enseignant.es du primaire en France, il a presque fallu tout organiser du jour au lendemain, après la décision du Président Emmanuel Macron de fermer les écoles. Murielle, 55 ans, est institutrice en CM2 dans une école privée de Lyon. Dès le jour de l’annonce, « j’ai été mise au courant qu’on devrait transmettre du travail aux enfants », explique-t-elle. Tout est organisé très rapidement, et dans cette école, des tours de rôles sont mis en place, chaque semaine, pour assurer la garde des enfants du personnel soignant. Mais Murielle admet que les consignes ont été très floues et les ordres un peu contradictoires: « Le lundi soir, la directrice nous a dit que tout serait sûrement arrêté avec le confinement, mais finalement, on a continué les gardes ». 

Murielle, s’attelant à la préparation du plan de travail du mardi. Lyon, Lundi 23 Mars 2020. Photo fournie par l’institutrice

Après les difficultés du début, une routine s’est vite mise en place. Depuis, afin de garantir la continuité pédagogique pour toute la classe, Murielle poste chaque jour un plan de travail composé des exercices, des leçons et des vidéos, le tout sur un Google Drive : « C’est presque plus long qu’en temps normal, car au bout d’un certain nombre d’années, je connais le programme et je n’ai pas forcément besoin de tout donner par écrit, je peux expliquer directement à l’oral »

L’institutrice le reconnaît, la continuité par internet n’est pas sans failles : « Je n’ai pas la réaction des enfants, donc c’est plus difficile de savoir s’ils ont bien compris ou pas ». Murielle ajoute : « Je ne peux pas savoir non plus si tous les enfants travaillent, ou si certains ne font rien ». Mais l’enseignante en est consciente, « La plupart des élèves de mon école viennent d’un milieu privilégié. Les parents peuvent les suivre et leur font faire le travail, j’ai eu des nouvelles de tous les élèves ». 

Pour l’institutrice, les difficultés viennent davantage de certains parents: « On sent qu’ils sont anxieux et dès qu’ils n’ont pas trouvé la bonne page du livre, le bon exercice, ils s’inquiètent et envoient des mails pas toujours très compréhensifs ». Murielle confie : « Quelques uns se plaignent de ne pas réussir à mettre leurs enfants au travail, et demandent de réduire la dose, déjà bien allégée. Je ne mets presque que du français, des maths et un peu d’anglais. Je ne peux pas mettre moins que ça! ». 

Des élèves manquent à l’appel

Adapter un contenu pédagogique au support numérique, surtout dans les petites classes, requiert de l’inventivité. Danielle, enseignante dans une école maternelle publique de la banlieue grenobloise, envoie chaque semaine des listes d’activités aux parents : « une de mes collègues, par exemple, a enregistré une histoire, pour la raconter aux enfants », explique-t-elle. Mais encore faut-il que les familles aient accès à Internet. Au bout d’une semaine de confinement, l’institutrice a essayé de contacter par téléphone les deux familles qui ne lui avaient pas donné d’adresse mail. Une a répondu, mais pour l’autre, elle reste sans nouvelles. Une famille d’un milieu défavorisé, dont le rapport à l’école n’était déjà pas évident en temps normal. « On s’est posées la question de faire une permanence sur l’école, pour donner le travail, mais vu que les déplacements sont de plus en plus restreints, ça pose problème. » 

Dans la classe de CM2 d’Irène, directrice de l’école élémentaire Lafontaine de Grenoble, un établissement classé REP+ (réseau d’éducation prioritaire)*, deux élèves manquent également à l’appel. L’enseignante leur a envoyé le travail par la poste, mais pas moyen de savoir si les devoirs sont faits. Pour les enfants de ce quartier populaire, la plus grande inquiétude d’Irène reste « la disparité d’aide » à la maison : « assez nombreux sont ceux qui n’en ont pas du tout. » La directrice consacre donc plusieurs heures à appeler les parents les plus en difficulté : « ils ont besoin de parler, et pas seulement du travail de leurs enfants », confie-t-elle. 

Les difficultés sont rapidement remontées au ministère de l’éducation. Fin mars, Jean-Michel Blanquer estimait qu’entre 5 et 8% des élèves du primaire et du secondaire étaient “perdus” par leurs professeurs depuis le début du confinement. Le ministre a donc annoncé la mise en place d’une plateforme sur laquelle les enseignants peuvent désormais déposer des supports pédagogiques, qui sont envoyés automatiquement par la poste aux parents d’élèves n’ayant pas accès à une boîte mail. Dans ce cadre, la Poste a promis l’envoi de 75000 courriers par semaine, de trois documents maximum, sur l’ensemble du pays. Le ministre a également lancé la mise en place de sessions de soutien scolaire à  distance, pendant les vacances de Pâques, sur la base du volontariat. 

« Les parents se rendent compte des difficultés du métier ».

Si les directives du ministère restent ouvertes, il n’en va pas toujours de même avec celles des hiérarchies locales. A Grenoble, par exemple, le vendredi matin avant le confinement, les enseignants ont reçu l’ordre du rectorat de préparer un plan de travail d’une semaine à distribuer le soir-même aux parents, alors qu’ils devaient assurer une journée de classe normale. Une semaine plus tard, ils ont été sommés de contacter par téléphone toutes les familles d’élèves en difficulté. Ce type d’injonctions a fait réagir les syndicats, qui ont invité les enseignants à agir en conscience. « Les instructions contradictoires et autoritaires doivent céder la place à la confiance et à des mesures concrètes », écrivait le FSU dès le 15 mars dans un communiqué. De son côté, FO a appelé le gouvernement à « un cadrage national clair » respectant la « liberté pédagogique » de chaque enseignant, pour ne pas laisser « le champ libre à toutes les pressions locales »

En revanche, les trois enseignantes relèvent de bons retours des familles, qui se montrent, pour la plupart, reconnaissantes. « Les parents se rendent compte des difficultés du métier, note Irène. Et ils seront tellement heureux quand l’école reprendra ! »

Par Clémence Ballandras et Isabelle Missiaen

*Les réseaux d’éducation prioritaire (REP et REP+) regroupent des établissements scolaires avec une forte densité d’élèves en difficultés scolaire et issus d’un milieu social défavorisé.