En arrêtant ses études de cinéma pour se consacrer au drag, Lyre, 21 ans, a déçu une famille mais en a surtout trouvé une nouvelle, à Lyon, loin de Montluçon. Le drag c’est sa vie, sa passion, et l’expression de ses engagements militants. Portrait.

Lyre dans son appartement baptisé le « QG » d’autres artistes drag, dans le 2ème arrondissement de Lyon le 23 septembre 2022 ©Méline Pulliat.

«Mais regarde-toi ! Tu fais déjà du drag et tu ne t’en rends pas compte ». Cette phrase que lui lance Kid Leto, artiste drag à Lyon, il y a seulement quelques mois lors d’un atelier dessin, Lyre ne l’oubliera sans doute jamais. « 6 mois après j’étais sur scène », ajoute-t-il. À partir de ce moment, tout a changé dans la vie de Lyre dont le “plus grand secret” depuis l’enfance était « de vouloir faire du drag ».

Assigné femme à sa naissance, le 23 décembre 2000, sous un « dead name » qu’il souhaite garder secret, il se définit aujourd’hui comme une personne agenre (ne s’identifiant pas au système binaire de genre, NDLR). Ses pronoms sont variables, « en ce moment c’est plutôt ‘il’ », explique-t-il. À seulement 21 ans Lyre casse les codes et surmonte les obstacles. Neuro-atypique et sur la voie d’un diagnostic autiste, pour lui faire du drag « c’est un challenge ». Pourtant il en est persuadé, cela a sauvé sa vie. Le drag représente bien plus qu’une performance artistique et mise en scène du genre féminin ou masculin, il s’agit pour la « nouvelle génération » dont il se réclame de performer des « personnages intérieurs » et « d’arriver au fait que les genres n’existent plus ».

Dans ses shows et à travers ses « alter », comme il appelle ses personnages, il trouve une force unique. « Il y a deux parts en moi », précise-t-il. D’un côté Lithium, du nom d’une chanson du groupe grunge des années 1990 Nirvana dont il était fan adolescent. Et de l’autre mégapétasse, au nom qui s’est imposé à Lyre dès sa première représentation : « On m’a directement appelé “mégapétasse” ». Au départ simple pseudonyme pour jouer en ligne, Lyre ne voulait pas forcément le garder pour son personnage mais « on continuait de m’appeler comme ça et finalement c‘est resté », poursuit-il.

De la famille « Chasse Pêche et Tradi-phobe » à la famille « choisie »

Lyre a grandi dans ce qu’il appelle « la famille typique de la campagne », à Montluçon en Auvergne. « Mes parents sont tous les -phobes possibles », clame-t-il. « Chasse, Pêche et Tradi-phobe ! », renchérit plus sévèrement que Lyre, Kitty Catcher, une amie, qui prépare son show dans l’appartement où vit Lyre dans le 2ème arrondissement de Lyon. Dans sa famille « donnée », et « pas du tout tolérante, de classe moyenne », Lyre est éduqué à être « la parfaite petite femme, à faire le ménage, etc. », soupire-t-il. Après deux ans d’études en école de cinéma, une phobie scolaire et une expérience de harcèlement, il décide il y a sept mois de tout quitter pour se consacrer au drag. Une décision qui est loin de plaire à toute sa famille.

Lyre garde avec cette dernière des contacts « pas forcément très sains et agréables », mais le plus important est sa « famille à Lyon qui est ma famille choisie », affirme-t-il. Là s’ancre l’histoire de Lyre et de l’artiste drag. Arrivé à Lyon « j’ai arrêté de performer une personne que je n’étais pas. Les gens m’ont accepté et m’ont trouvé chouette comme j’étais, et ça je ne l’ai pas trouvé à d’autres endroits », résume-t-il.

Si Lyre aime cette ville c’est aussi pour son drag qu’il qualifie de « plus divers, inclusif, créatif, familial », et en pleine expansion, avec de nombreux shows toutes les semaines, dans divers lieux. Lui et ses ami.e.s performent entre autres au Loupika sur les quais de Saône, au Boomerang un bar associatif de la Guillotière et au Café Rosa, café associatif féministe et culturel du 7ème arrondissement.

Malgré tout, Lyre et ses colocataires l’admettent : assister à une représentation drag n’est pas encore généralisé, et reste de niche. C’est pourquoi il aimerait performer dans des endroits avec des « publics peu habitués ». En dehors des représentations, il a souvent l’occasion de parler et d’expliquer le drag aux passants. « Quand je sors dans la rue je me fais souvent remarquer, on vient me parler », et il n’est pas rare que des gens fascinés par son « look atypique », tiennent à prendre une photo.

« Le drag passe avant tout »

Lyre rêve de quitter son métier alimentaire d’auxiliaire de vie auprès des personnes âgées et d’obtenir l’intermittence pour faire du drag son métier. Mais le drag coûte cher et la paye est maigre. La plupart du temps il est rémunéré moins de 100 euros pour une scène. Avec le travail de préparation non payé, l’achat du maquillage et des matériaux pour les costumes, Lyre plaisante amèrement : « il ne faut pas faire du drag pour gagner de l’argent ! »

En attendant de pouvoir pleinement en vivre, Lyre doit donc empiéter sur ses heures de sommeil pour jongler entre son emploi, la réalisation de ses costumes, l’écriture et la répétition de ses performances. Acharné de travail et déterminé il avoue en riant : « Le drag passe avant tout. On mange drag, on dort drag, on boit drag ». « Je le force à manger », ricane Luse, son colocataire, également artiste drag, fumant sur le rebord de la fenêtre. « Parfois j’ai juste envie qu’il dorme », ajoute-t-il.

Si Lyre est aussi passionné c’est que pour lui le drag est « un art militant ». « Ce n’est pas de l’amusement », poursuit-il, « il faut avoir des choses à dire ». Son combat c’est l’hypersexualisation. Il veut prouver que montrer son corps n’a rien de sexuel, que cela peut même d’abord aider. Pendant trois ans il a travaillé seul sur « poignée d’amour », un projet audiovisuel pour visibiliser la diversité des corps et aider à l’acceptation de soi. C’était « le plus beau des sentiments quand les gens me disaient ‘’merci ce que tu fais nous aide’’ », se rappelle-t-il.

Aujourd’hui il n’a plus le temps de concilier ce projet avec ses activités drag, notamment depuis qu’il a monté le show « Alias » avec Alizée, un autre artiste drag lyonnais. Pour Lyre une chose est certaine :  l’aventure continuera bien au-delà. Même s’il admet volontiers que « Lyon a vraiment une belle scène », il le répète, son but est bien de « voir ailleurs », d’aller performer dans « plein de villes ».

Méline Pulliat