Vendredi 18 octobre Francis Ford Coppola, invité d’honneur du Festival lumière 2019 se livrait en toute sincérité au cours d’une “conversation” avec le public au théâtre des Célestins. L’Écornifleur était dans la salle pour écouter les secrets de cette légende vivante du cinéma du 20e siècle.
« Quand on aime le cinéma, on aime Coppola. Et cela vaut bien un vendredi après-midi off ! » Louis, étudiant en commerce, est venu comme nous, écouter le réalisateur mythique du Parrain (I, II, III) et d’Apocalypse Now. Dans quelques minutes, Francis Ford Coppola sera sur la scène du théâtre des Célestins pour partager avec nous sa vision du cinéma. Ce serait dommage d’être mal placé. Nous suivons donc Louis dans les escaliers du théâtre et prenons place au deuxième balcon, deuxième rang. Nous surplombons la scène : il faudra au moins cela pour ne pas se sentir trop petits face à ce monstre sacré du cinéma.
Le clan Coppola presque au complet
Parmi les 700 places prises d’assaut, il y a quelques visages connus du cinéma français. Quinze heures passées, Thierry Frémaux arrive enfin sur scène et présente au public le parterre de stars venues écouter les paroles du maestro. Alain Chabat, Marina Foïs, Nathalie Baye, Laurent Lafitte, entre autres, se lèvent pour saluer. Premiers applaudissements, le spectacle vient de commencer. La réalisatrice Eleanor Coppola, épouse de Francis Ford et le réalisateur Roman Coppola, leur fils, se lèvent également. Un hommage est rendu à la fille du cinéaste, Sofia Coppola, elle aussi réalisatrice. On se sent tout à coup appartenir à la grande famille du cinéma, au clan Coppola.
“Trop ‘jeune’ pour enseigner un art qui a déjà 120 ans“
Voilà justement le cinéaste qui arrive sur scène en tenue décontractée (casual Friday) et sous une salve d’applaudissements.
« Qui a moins de 25 ans dans la salle ? » lance Thierry Frémaux. Une cinquantaine de mains se lèvent, le réalisateur insiste pour que les questions viennent des jeunes. Il va nous falloir poser une question puisque le maestro nous y invite. Le réalisateur précise que le terme “conversation” convient bien à cette rencontre, lui qui ne se voyait pas donner une masterclass. Et le maestro d’affirmer : « Seul Martin Scorsese a étudié et enseigne le cinéma. ” D’ailleurs, à 80 ans, il se trouve trop jeune pour « enseigner un art qui a déjà 120 ans ». En cinq minutes, le cinéaste a conquis la salle.
« Un ou deux mots suffisent pour déterminer un film ». Il explique ainsi que c’est « l’intimité » qui l’a guidé dans la réalisation de Conversation secrète, « la succession » pour Le Parrain et « la morale » pour Apocalypse Now. Toute la salle boit ses paroles, nous compris.
Au bout d’un quart d’heure, les cameramen postés devant nous filent, nous décrochant un : « à vous de jouer ». Nous enjambons aussitôt les sièges, pour nous retrouver accoudés au balcon face au maestro. Comme dirait Corleone dans Le Parrain : « It’s not personal, Sonny. It’s strictly business. »
Les étudiants à l’honneur
La vue est imprenable. Les mains carrées de Francis Ford Coppola virevoltent à l’italienne, soulignant les inflexions de sa voix grave.
« Vous, les étudiants”, interpelle Coppola, “soyez convaincus que les choses pour lesquelles on pourra vous virer sont celles pour lesquelles on vous donnera des prix ! » Le cinéaste explique que Burt Lancaster n’avait pas aimé que l’on commence par la fin de l’histoire pour décrire le personnage de Patton et son scénario n’avait pas été retenu. Il précise qu’il a été rappelé quelques années plus tard pour finalement réaliser le film en 1970.
“On faisait du cinéma avec rien”
Attiré par la nouveauté, le cinéaste ne s’est mis au numérique qu’après Apocalypse Now (1979). « Les scènes tournées dans Apocalypse Now étaient toutes réelles », souligne-t-il. Il ajoute que ce film l’a rendu fou, « à l’image de ce que le Vietnam a été en réalité ». Le film a reçu la Palme d’Or à Cannes en 1979. Il confesse qu’il n’aurait jamais imaginé une telle récompense en le réalisant.
« On faisait du cinéma avec rien, on inventait tout à cette époque, le cinéma était mécanique ». On imagine le jeune Coppola au fond de son garage en train de bricoler de quoi réaliser telle scène ou telle autre. On est loin du cinéma d’aujourd’hui et pourtant c’est bien lui et son ami Georges Lucas (Star Wars) qui ont inventé le son Dolby.
“Faire un film, c’est comme construire une maison”
Sans surprise, le réalisateur aime avoir recours aux images pour exposer sa pensée. « Faire un film, c’est comme construire une maison, il y a un architecte qui rêve et une entreprise qui finance et coordonne la construction. C’est la même chose pour un réalisateur et un producteur ». Il évoque sa relation avec Gorman, le producteur du 1er Parrain, réputé avoir été très dur avec lui lors de la réalisation de ce film, issu d’une commande de studio. Il ajoute : « le problème est que souvent le réalisateur pourrait avoir l’envie de devenir son propre producteur. » Rappelons que le réalisateur-producteur a fondé les studios Zoetrope en 1969 avec Georges Lucas.
Les deux piliers d’un bon film
Il reconnait que la performance de l’acteur est due au seul talent de la personne. C’est au final « l’acteur qui joue devant nous avec comme seul outil son corps ». Quant à l’écriture, nous confie-t-il modestement, tous les honneurs reviennent à l’auteur de l’histoire, pas au scénariste qui a adapté l’histoire au cinéma. « C’est le Parrain de Mario Puzo, pas celui de Coppola ». Il explique que « les deux piliers d’un bon film sont l’écriture et le travail des acteurs ».
Un jeune étudiant en cinéma lui demande le film qu’il aurait aimé réaliser. Le cinéaste aux deux Palmes d’Or ne mâche pas ses mots : il a tellement abordé de thèmes et de styles de cinéma différents qu’il ne voit pas ce qu’il aurait pu réaliser d’autre. On est soulagés de ne pas avoir posé la question nous-mêmes.
La rencontre s’achève par une adresse aux étudiants en cinéma : « Faites un film qui montre à quel point vous êtes unique, qui montre les mondes que vous voulez explorer et les choses que vous voulez apprendre. »
La foule se lève pour saluer l’éternel étudiant en cinéma. Avoir partagé une heure et quart de la vie de Francis Ford Coppola, c’est quelque chose qui ne s’oublie pas.
Sophie Parodat
BONUS : Les phrases entendues pendant la conversation que L’Écornifleur aurait aimé vous glisser dans cet article
« Apprendre est la seule chose qui ne fait pas grossir. » FFC pour Francis Ford Coppola
« Un imperméable transparent était tout indiqué pour le film Conversation secrète. » FFC
« Une question est une question donc posez la question ! » FFC
« Si vous ne faites pas de votre art quelque chose de personnel, ça n’en vaut pas la peine. Faites un film qui montre à quel point vous êtes uniques. » FFC
« Utilisez les armes à votre disposition ! » FFC citant Napoléon
« Ça sent le napalm ce matin. » Apocalypse Now
« Ce sera plus riche pour moi que pour vous. » FFC
« Le conflit ou la contrainte sont souvent fertiles. » FFC