Sorti en 1961, le documentaire du sociologue Edgar Morin est à l’affiche de l’édition 2021 du Festival Lumière à Lyon. L’opportunité pour l’Ecornifleur de (re)découvrir un film pionnier du « cinéma-vérité ». Retour d’expérience.


L’année de sa sortie Chronique d’un été (1961) a obtenu le « prix de la critique » au Festival de Cannes. Capture d’écran

« Êtes-vous heureux ? », le film débute par une question intemporelle. Silences et sourires gênés se mêlent aux soupirs d’abattement. « J’ai eu du bonheur et du malheur dans ma vie, ça ne peut pas être autrement. Il faut bien partager un peu », avance une passante dans les rues de Paris. La quête du bonheur traverse les époques : on imagine le même genre de réponse dans les rues de Lyon six décennies plus tard.

« Ce film n’a pas été joué par des acteurs mais vécu par des hommes et des femmes ». Été 1960, le sociologue Edgar Morin et l’ethnologue Jean Rouch décident d’aller à la rencontre des Parisiens. Pas de studio ni de script, les deux réalisateurs ont uniquement une idée fixe : entrer dans l’intimité des interrogés. Pour Edgar Morin, il s’agit d’une « expérience nouvelle de cinéma-vérité ». Plus connu sous le nom de « cinéma direct », ce mouvement cherche à questionner le rapport du septième art à la réalité.

C’est par la parole qu’Edgar Morin fait le pari d’explorer l’être humain. Devant la caméra, le réalisateur se met en scène en interagissant avec son entourage. Une manière particulière de donner à voir son métier de sociologue. Si ce procédé n’a pas la rigueur d’une enquête sociologique, il a le mérite d’offrir la possibilité au spectateur de s’identifier aux personnes interrogées. Volonté de trouver un sens à sa vie, peur d’être seul face à soi-même, sentiment d’échec… Les angoisses personnelles se croisent afin de rendre compte des questionnements qui traversent tout le corps social.

De l’individuel au collectif

Chronique d’un été reflète le contexte politique de sa sortie, marqué par la guerre d’Algérie. Certaines réflexions d’hier renvoient aux discriminations d’aujourd’hui. « Je ne suis pas raciste mais personnellement je ne me marierai pas avec un Noir », confie la cinéaste et amie d’Edgar Morin, Marceline Loridan-Ivens, avant d’encenser leur « manière extraordinaire de danser ». Ce qui fait soupirer Landry, originaire de Côte d’Ivoire : « j’aimerais qu’on aime le Noir pour une autre raison que sa façon de danser ».

Ancien militant du parti communiste français, Edgar Morin met en avant la vie d’Angelo, ouvrier de l’usine Renault. Répétition des tâches, quotidien monotone : Angelo et ses camarades se confient sur la lassitude qu’ils éprouvent. « Le matin il faut se lever tous les jours à la même heure. Vous prenez le même trajet pour aller à la gare et vous montez dans le même train. Vous rentrez par la même porte tous les jours. Tous les jours c’est la même chose. » Un quotidien qui fait écho à celui de nombreux employés du XXIème siècle, rompus à la routine « métro-boulot-dodo » et aux « bullshit jobs ».

« Ni des comédiens, ni des exhibitionnistes »

Chronique d’un été est une œuvre dont la volonté est de questionner, jusqu’à la fin. Conviés par Edgar Morin et Jean Rouch, Les participants du film assistent à sa projection en 1961. Confrontés en images à leur propre vulnérabilité, certains y voient un jeu d’acteur, d’autres de l’indécence. Ce qui fait dire à Edgar Morin dans la dernière scène : « les gens dès qu’ils sont un peu plus sincères dans la vie on leur dit vous êtes des comédiens ou des exhibitionnistes. Moi je sais et je sens que ce ne sont ni des comédiens, ni des exhibitionnistes ».  

Novateur pour l’époque, tant par son style que sa technique, l’esthétique du film n’est pas tant ce qu’il reste à l’esprit aujourd’hui. L’intérêt de cette œuvre phare du « cinéma-vérité » français, réside dans le fait qu’elle peut être considérée comme une photographie des années soixante, mais pas seulement. « Le cinéma-vérité est un ensemble de mensonges, et ces mensonges, par un hasard singulier, sont plus vrais que la vérité », déclarera Jean Rouch à propos du film. Soixante ans après sa sortie, Chronique d’un été n’interroge pas tant les Parisiens des années 1960 que le spectateur de 2021.

Voir le film :

Lumière Terreaux mardi 12 octobre 10h45
Institut Lumière jeudi 14 octobre 14h45
Comœdia vendredi 15 octobre 10h45

Masterclass par Edgar Morin :

Comédie Odéon mercredi 13 octobre 15h