Mardi 17 mars, midi. Début du confinement, la France tourne au ralenti. A travers le récit de trois journalistes de l’Ecornifleur, revivez jour après jour la semaine du 15 au 22 mars, celle durant laquelle le pays a basculé, avec la progression de l’épidémie de coronavirus, dans une crise sanitaire inédite depuis un siècle. Pour ce dernier épisode, c’est Théo qui prend la parole pour nous raconter son quotidien durant les premiers jours du confinement.

Après la Chine et l’Italie, le coronavirus a fait ses premières victimes en France, fin février. Depuis, la progression rapide de l’épidémie a conduit le gouvernement à des mesures drastiques. Il a ainsi décrété la limitation des déplacements et l’interdiction des rassemblements dès le mardi 17 mars, à midi. Retour sur la première semaine du confinement au cœur d’un village de 602 habitants.  

Le city-stade du village d’à côté, lors d’une sortie sportive. Camarsac, 19/03/20 © Théo Uhart 

Lundi 16 mars, il est 20h00. Emmanuel Macron prend la parole pour la deuxième fois en une semaine. La France est frappée par la pandémie mondiale de Covid-19. N’ayant plus cours depuis jeudi dernier et la fermeture des universités, j’ai quitté Lyon pour le village de mon enfance. « Nous sommes en guerre, martèle le Président de la République. L’ennemi est là, invisible, insaisissable, qui progresse ». Il faut avouer que depuis mon village girondin, l’ennemi paraît loin. Il faisait encore grand soleil aujourd’hui. 

C’est la première fois que je vois mes parents et ma sœur suivre un discours d’Emmanuel Macron. Et nous ne sommes pas les seuls sur le canapé : 35 millions de personnes ont regardé l’allocution présidentielle en direct, un record. Chacun attendait que le Président parle de confinement. Il n’en sera rien. Emmanuel Macron préfère une autre formule : « dès demain midi et pour 15 jours au moins, nos déplacements seront très fortement réduits ». Rentré aujourd’hui, je devais aller voir un ami chez lui, dans la soirée. Hors de question pour mes parents, avec lesquels le début fut houleux. Finalement, je suis resté chez moi : le confinement avait bel et bien commencé. Et c’était déjà long.

Mardi 17 mars : Du virtuel et des ondes

Après quelques mails d’organisation pour les cours et le travail, le reste de ma journée est rythmé par les notes des jingles de France Inter, dont j’écoute presque avec avidité les éditions spéciales. Depuis midi, il est interdit de se déplacer sans une attestation dérogatoire et sans motif valable. L’objectif sanitaire du confinement est bien de freiner la propagation du virus en limitant les contacts humains. L’incitation au télétravail, martelée par le gouvernement, est compliquée à mettre en place. Mes parents sont éducateurs spécialisés en milieu ouvert, c’est-à-dire qu’ils se déplacent chez les familles qu’ils suivent. Difficile de le faire à distance. Mais, comme tout le monde, depuis ce matin, ils doivent s’adapter et ont donc passé la matinée au téléphone pour remplacer les rendez-vous. L’aide sociale à l’enfance ne peut « surtout pas s’arrêter pendant le confinement, des situations pourraient se tendre », m’ont-ils expliqué.  

Contaminés : 7730. Décédés : 175.

Mercredi 18 mars : Moins d’électricité dans l’air

Il faut bien se l’avouer : à la campagne, le confinement peut avoir des airs de vacances. Seule la réunion avec mes camarades de master, pour préparer le prochain numéro de notre journal, vient tromper cette impression. 

L’une des conséquences du confinement commence à se faire sentir : la nature respire. Déjà en Chine, de nombreuses mesures ont indiqué que la qualité de l’air s’est nettement améliorée depuis que les activités industrielles ont été stoppées par les mesures de confinement. En France, aujourd’hui, c’est un graphe impressionnant qui a fait le tour de Twitter. Les données, issues du site de RTE (Réseau du Transport d’Électricité), sont formelles : on constate une chute de 22% de la consommation d’électricité entre aujourd’hui et le 18 mars de l’an passé. Les indicateurs de la pollution à Paris, fournis par l’association Airparif, étaient également au vert. La mise en pause de la majeure partie des activités humaines fait du bien à la planète. 

Il faut avouer cependant que c’est une autre perspective qui m’a réjoui aujourd’hui. Sur les coups de 18h30, armé de mes baskets, d’une pièce d’identité et de mon attestation de sortie dûment remplie, j’ai profité de la douceur du début de soirée pour aller courir. La départementale qui grouille habituellement d’automobilistes revenant du travail est vide. Seuls quelques promeneurs ont osé s’y aventurer. Je m’arrête un instant dans ma course. Pour reprendre mon souffle ? Peut-être. Je préfère dire que c’est pour observer la lumière du soleil qui se couche sur un champ. 

Contaminés : 9134. Décédés : 244.

19 mars : la grande vadrouille

En début d’après-midi, je m’apprête pour ma première vraie sortie. Direction le Carrefour Contact, à cinq minutes en voiture. Faire les courses est devenu une possibilité de liberté, une échappatoire au confinement. Je m’attends à trouver le parking plein mais il n’en est rien. 

Je travaille ici l’été, aussi je remarque immédiatement les changements : devant les caisses trônent désormais des plaques de plexiglas. À l’entrée du magasin, un désinfectant et du sopalin sont mis à disposition. Des affiches indiquent partout : « Maxi 2 produits identiques. Maxi 2 produits de la même famille. » À la boucherie, des marquages noirs au sol permettent de respecter les distances de sécurité. Je m’avance dans le supermarché, liste à la main. Le rayon des conserves ? Vide. Celui des pâtes et du riz ? Vide. Le papier-toilette ? N’en parlons pas. « C’est énorme en ce moment, m’indique David. Lundi sur la journée, on a fait presque 60 000€ ». Une journée normale, dans ce petit supermarché de campagne, tourne autour de 15 000€. 

Je fais trainer le chemin du retour, pour savourer chaque instant de cette sortie, et profiter du soleil qui donne aux couleurs de la campagne leur éclat printanier. Depuis quand faire les courses est devenu un plaisir ? 

Contaminés : 10995. Décédés : 372.


Les caisses du Carrefour Contact pour faire face à l’épidémie  © Théo Uhart, 19/03/2020

20 mars : à la recherche du stock perdu

« Bonjour Théo, vous seriez disponible pour venir dès 16h ? » C’est le gérant du Carrefour Contact, un petit bonhomme d’une cinquantaine d’années, assez rondouillet, qui me propose de venir travailler. Entre aujourd’hui et demain matin, 53 palettes doivent arriver. C’est plus de cinq fois la commande habituelle : ils ont besoin de mains. Quatre heures à déballer des cartons et mettre en rayon, pour que le magasin soit prêt le lendemain. 

20H30, retour à la maison. Assis sur le canapé, mes parents et ma sœur sont en « apéro skype » avec le reste de la famille. Une façon de maintenir du lien social, et de parler à des personnes extérieures. Une bouffée d’air frais tant cela fait du bien de voir du monde.  

Contaminés : 12 612. Décédés : 450.

21 mars : la folie des petits magasins

Il est 6 heures. Je ne sais pas si Paris s’éveille mais je suis déjà en poste au Carrefour. Tous les employés sont réunis autour du patron, accoudé sur la palette de brique de lait. Il a eu « des infos de quelqu’un qui travaille à l’hôpital de Bordeaux ». Il faut donc nous laver les mains aussi souvent que possible, utiliser masques et gants et nous désinfecter si besoin. « Nous avons aussi récupéré le stock de sérum pour le nez, car on nous a dit qu’il fallait que vous vous laviez régulièrement le nez. On vous en donnera un chacun dans la journée ». Cela fait de nous des chanceux. Dans la plupart des supermarchés, on voit plutôt des employés sans protection.  

Les consignes données, le marathon peut commencer. Onze heures de travail, cela promet d’être long. Une bonne soixantaine de personnes patientent devant les grilles à l’ouverture, mais le patron a refusé de filtrer l’entrée. Il a en revanche fermé les allées dans lesquels les collègues continuent de mettre en rayon, avec du fil de cuisine et des affiches « zone interdite ». Au bout d’une demi-heure, les files en caisse sont affolantes. Il faudra l’intervention d’une infirmière menaçant d’appeler la gendarmerie pour que le patron se décide à réguler l’entrée. Personne ne discute la décision. Certains clients ont même l’air heureux de devoir patienter sur le parking, dehors, au soleil. Et pas une plainte lorsqu’une aide-soignante passe devant car elle doit ensuite aller travailler. 

C’est plus compliqué en caisse, où l’on doit vérifier que les clients n’ont pas pris deux articles identiques. La plupart sourient, ajoutent un « je n’avais pas vu » qui sonne comme un « je sais mais j’ai tenté ». Certains jouent avec les règles : il y a des caddies où la totalité des produits est en double. D’autres sont plus farouches. Un homme d’environ quarante ans, assez costaud, veste rouge, s’indigne. « On est 4 à la maison, comment voulez-vous que je fasse ? Moi j’en mange 3 des steaks ! C’est ridicule votre histoire, je comprends que vous limitiez quand c’est extravagant mais regardez j’ai fait des courses normales. » Mais, outre les quatre paquets de steaks hachés, il avait aussi cinq barquettes de tomates cerises et de fraises et plusieurs paquets de pâtes. Il part, en grommelant qu’il reviendra lundi « ou même cet après-midi tiens ! Mais je crois que l’idée c’est que les gens ne sortent pas trop de chez eux, c’est pas très cohérent ! » Un point pour lui. 

La journée est harassante, surtout à partir du vingtième « Vous avez du papier toilette ? » ou au cinquantième client qui se plaint que « les gens sont fous, vos rayons sont vides » avec un caddie qui déborde. À la longue, on a presque envie de crier sur les clients que s’ils ne paniquaient pas, les rayons ne seraient pas vides. Au lieu de ça, on échange avec les collègues des regards désespérés et des soupirs qui en disent longs. 17h30, fin de la journée. Le monsieur des steaks n’est pas revenu. On n’a pas vu la couleur des sprays nasaux. 

Contaminés : 14 459. Décédés : 562.

Dimanche 22 mars, comme un lundi de confinement

Sans le boulot, il serait difficile de distinguer le dimanche des autres jours de confinement. Je dévore Vanda, le dernier roman de Marion Brunet. Un bon livre vaut tous les réseaux sociaux du monde quand il s’agit de s’évader. 

« Vous écoutez France Inter, il est 18 heures, les titres de ce dimanche 22 mars », lance Alexandra Bensaïd. On y saisit nettement la crise que traverse l’hôpital public. Le premier mort parmi les médecins, le manque de moyens, les pénuries de masque, de protections : les politiques de restriction budgétaire des dernières années n’ont pas eu raison de l’hôpital public, au prix d’un personnel soignant qui s’est chaque fois donné un peu plus, tout en manifestant son épuisement et son désarroi. Il semble aujourd’hui qu’ils soient enfin écoutés. Mais une question reste : le gouvernement tend-il oreille et main avec une réelle volonté de changer de cap ou le fait-il pour maîtriser les critiques qui commencent à poindre sur sa gestion de la crise ? 

Après le journal vient une émission avec Muriel Pénicaud, ministre du Travail. L’impact économique du confinement est énorme. Déjà, au début de la crise, la plongée des bourses mondiales était inquiétante. Le jeudi 12 mars a été pour les bourses européennes un jeudi noir. Le même jour, Wall Street réalisait sa pire séance depuis le krach de 1987. La fin des déplacements et la fermeture des commerces se traduit forcément par une baisse de la consommation. Les économistes avertissent que les taux de croissance de cette année seront très faibles. Muriel Pénicaud patauge face aux questions, enjoint celles et ceux qui sont confinés à se rendre disponibles pour les récoltes agricoles. Désagréable impression que la santé économique vaut plus que la santé des citoyens. 

Contaminés : 16 018. Décédés : 674.

Lundi 23 mars : le dernier jour du reste du confinement 

L’épidémie s’est accélérée cette semaine, et la chloroquine est le mot du jour. À Marseille, le professeur Raoult affirme que ce médicament antipaludique est efficace pour traiter les cas de Covid-19 et demande une généralisation du traitement. La communauté scientifique est partagée, et souligne l’insuffisance de son étude, qui ne se base que sur 24 patients aux symptômes légers. Le gouvernement, lui, suit plutôt l’essai clinique européen dirigé par l’INSERM, qui étudie 20 possibilités de traitement. 

Ce confinement a aussi fait surgir en quelques jours des initiatives solidaires par dizaines, entre particuliers, mais également à des niveaux plus institutionnels. Ainsi, certaines structures culturelles ou chaînes de télé ont partagé beaucoup de contenu en libre accès. Mais ne nous y trompons pas non plus. Sont aussi apparus sur les réseaux sociaux des messages placardés dans les halls d’immeubles où des voisins demandent aux soignants qui vivent là d’aller loger ailleurs un temps, pour éviter la contamination. Et si la majorité des gens respecte le confinement, certains s’en amusent encore et continuent de sortir se promener, forçant le gouvernement à durcir encore un peu plus les règles. La nature humaine n’a, en ces temps de confinement, rien perdu de ses contradictions. 

Contaminés : 19 856. Décédés : 860.