Dans les prisons de Moulins ou Villefranche, des artistes interviennent pour enseigner aux détenus l’art de « s’évader ». Ils se confrontent à une machine carcérale qui écrase l’humain, prisonniers comme surveillants.

Peinture de Stéphane* en 2016 à la Maison Centrale de Haute Sécurité de Moulin. Elle représente le cheminement et la confiance. © Stéphane*

Il y a 10 ans, Odile Girardin Gantier est entrée en prison pour la première fois. Dans la Maison Centrale de Haute Sécurité à Moulin, elle a côtoyé « les détenus les plus ingérables », des évadés, des condamnés à perpétuité. 21 portes séparent sa cellule de 15m², éclairée par des néons clignotants, de l’extérieur. Elle tend une liste de 20 détenus à un dernier surveillant et s’installe dans « sa salle ». Finalement, la moitié des inscrits rejoignent Odile pour un atelier d’arts plastiques. « La prison c’est un lieu de frustrations, de contraintes » analyse l’art thérapeute. « Dans mes ateliers ils peuvent exprimer leur originalité sans qu’on les prenne pour des fous. S’ils ne rentrent pas dans le moule, ça énerve les surveillants. »

« L’art m’a redonné le sentiment d’exister »

Jusque dans les cachots, elle rencontre des prisonniers à travers une trappe. Au « mitard », les détenus peuvent rester plusieurs semaines sans contact avec l’extérieur. Une fois par mois, elle leur donne une pochette avec des exercices d’arts plastiques, qu’ils lui rendent complétés, un quart d’heure plus tard.

Elle a assisté à des « grands moments de prise de conscience, de transformation ». Son travail revêt aussi une dimension psychologique. « Ça leur fait du bien d’interagir avec une femme qui ne les juge pas. Lorsqu’ils vont bientôt sortir, il s’agit surtout de les reconnecter aux codes de la société ‘normale’. »

« On ne peut pas se réinsérer si l’on ne s’est jamais inséré »

Stéphane* a « passé sa vie en prison », plus de 40 ans depuis 1966. Lors de ses premières années, il avait le droit d’écrire des petits poèmes mais l’interdiction de dessiner. Et puis, en 1974, il y a eu de violentes mutineries dans plus de 120 prisons. Dans celle de Stéphane*, à Fresnes, un gardien a été pris en otage. Pour calmer les détenus, les premières mesures de réinsertion sont créées sous le gouvernement Chirac.

Stéphane* a vécu très injustement sa dernière incarcération de 23 ans pour homicide. « Lorsque l’on ne comprend pas sa peine, c’est très dur à supporter. » A 60 ans, sa rencontre avec Odile, lui a fait découvrir la peinture. Il a commencé à peindre des portraits, des paysages, puis des œuvres abstraites. « Pour moi la peinture c’est une fenêtre d’apaisement, d’évasion, ça m’a redonné le sentiment d’exister. » C’est avant tout « un outil psychologique, d’insertion sociale », « un point de repère à l’intérieur comme à l’extérieur de la prison ». D’ailleurs le mot « réinsertion » lui déplaît, « on ne peut pas se réinsérer si l’on ne s’est jamais inséré ».

La frustration des surveillants

Pour Joséphine Santraille, « il y a un mépris de l’art et de la culture dans le milieu carcéral ». Cette réalisatrice engagée a participé à la coordination artistique dans la Maison d’arrêt de Villefranche. Elle explique que « les surveillants sont très peu formés et ne voient pas forcément l’intérêt de l’art. Parfois, ils peuvent ne pas ouvrir la cellule de celui qui doit participer à un atelier, parce qu’ils le trouvent trop gâté ou pas assez puni ».

Ces interventions artistiques rencontrent ainsi, assez logiquement, les problèmes et tensions du monde carcéral en général. Rare de voir une année sans manifestations des surveillants, qui dénoncent leurs conditions de travail. En France, la surpopulation des prisons (70 059 détenus pour 60 151 places selon l’OIP) et le manque de personnel, les poussent à faire « gratuitement plus de 30 heures supplémentaires chaque mois » comme le confiait Emmanuel Baudin de Force Ouvrière au Figaro en février 2019.

Sylvène Boisson, qui intervient avec le Théâtre de Villefranche dans la prison locale, explique qu’il y a « un mal être de la part des surveillants qui voient leur mission réduit à un seul rôle de punition et non plus de réinsertion ». De même pour les Conseillers Pénitentiaires d’Insertion et Probation (CPIP) qui gèrent jusqu’à « une centaine de détenus » et résignent parfois aux interventions culturelles. Côté surveillant, la frustration peut s’accentuer lorsque les prisonniers sont valorisés, voire même payés, pour leurs œuvres.

Selon Odile, « l’intérêt de l’Administration Pénitentiaire c’est d’occuper le temps des prisonniers pour qu’ils déchargent leurs pulsions, ça apaise les relations. Et puis, bien sûr, ça leur donne une meilleure image ». Si elle n’oublie jamais que les détenus sont des criminels, des bourreaux, elle voit aussi en eux les victimes qu’ils ont été. « Je veux rééquilibrer la vision du prisonnier. L’objectif ultime de mon travail c’est de reconsidérer le détenu comme un humain. »

* Le prénom a été modifié.

Matéo Larroque