Depuis le mardi 17 mars, la France vit à l’heure du confinement général. Chaque jour, aux quatre coins de la France, un membre de l’équipe de rédaction de l’Ecornifleur nous fera partager son expérience de la quarantaine.
Vendredi 24 avril
A Sciences Po Lyon, nos vacances de printemps auraient dû commencer ce soir. Peut-être aviez-vous prévu de partir vous détendre sur une plage ou partir à la découverte d’une ville, d’un pays… On peut dire que c’est raté. Et l’été semble tout aussi incertain. De manière générale, cette pandémie va avoir un impact sans précédent sur le tourisme mondial. En France, où l’on se targue d’être la première destination touristique au monde (89 millions d’arrivées de touristes internationaux en 2017, selon l’Organisation Mondiale du Tourisme), les conséquences pourraient être désastreuses : avec ce confinement, il semblerait que le secteur du tourisme perde environ un milliard d’euros par mois en région Île-de-France (source Protourisme).
Je le vois de mes propres yeux : ici, à la montagne, les stations de ski ont dû fermer plus tôt que prévu et s’inquiètent de ce manque à gagner. Rappelons que le tourisme représente 7 % du PIB ainsi que deux millions d’emplois directs. Un espoir peut-être : dans un futur proche, les Français devront sans doute partir en vacances dans leur propre pays plutôt que d’aller à l’étranger. En outre, les touristes internationaux qui viennent en France sont principalement Européens (Royaume-Uni à 14,6 %, Allemagne à 13,7 %, Belgique et Luxembourg à 13 %). Si les frontières de l’espace Schengen tardent à rouvrir, on peut au moins espérer compter sur nos voisins.
Je m’inquiète moins pour les grandes structures comme Disneyland, que pour les petits acteurs du tourisme, qui risquent de ressortir bien plus fragiles de cette crise sanitaire. Une situation qui va sans doute favoriser le retour en force du mantra favori des différents gouvernements : « consommez français ! ». L’occasion aussi de profiter, pour ceux qui le peuvent, de son environnement proche, celui qu’on croit connaître par cœur. Après tout, qui a dit qu’on ne pouvait pas s’évader, s’émerveiller en bas de chez soi ?
Par Clarisse Portevin
Jeudi 23 avril – Allô, vous m’entendez ?
Depuis quelques semaines, cela est devenu un rendez-vous habituel. Une à deux fois par semaine, à 14 heures, je me connecte sur Discord pour la conférence de rédaction de l’Ecornifleur. Ce logiciel, conçu initialement pour la communication des joueurs en ligne, est devenu un outil de travail pour nous, membres de l’équipe de rédaction de l’Ecornifleur. C’est sur Discord que l’on décide ensemble des sujets de dossier, des articles et des illustrations qui composeront le prochain numéro du journal. Bien sûr, la technologie n’est pas infaillible et nous ne sommes pas à l’abri de problèmes techniques. « Allô, vous m’entendez-là ? » : cette phrase entendue des dizaines de fois ponctue nos conférences de rédaction à distance.
Notre exemple n’est pas isolé, en cette période de confinement. Depuis la mi-mars, familles, entreprises et amis ont dû s’adapter à l’exigence de distanciation sociale, et trouver de nouveaux modes de communiquer. Ou tout simplement se servir plus souvent d’outils que l’on a depuis des années, comme les webcams ou les logiciels de discussion à distance, mais auxquels on préférait les rencontres en face-à-face.
Ces différents modes de communication sont l’un des seuls liens que nous entretenions avec l’extérieur. De façon paradoxale, je suis d’avis que l’éloignement nous fait prendre conscience de l’importance de la relation que nous avons avec les autres. D’où l’importance que nous accordons en ce moment aux discussions, réunions ou rendez-vous que l’on se donne par téléphone, sur les réseaux sociaux ou via les logiciels d’appels. Être ensemble, même l’espace de quelques minutes au téléphone ou par Skype, nous permet de supporter un peu plus facilement le confinement.
Par Océane Trouillot
Prendre des nouvelles de ses proches chaque jour : un rituel important en période de confinement. Magland, 23 avril 2020 © Océane Trouillot
Mercredi 22 avril – “Sortez vos têtes…”
« Sortez vos têtes
De vos balcons, de vos fenêtres
A la verticale, à l’horizontale
Chanter entre voisins c’est pas banal. »
Pour moi qui ai grandi dans la banlieue grenobloise, le quartier de l’Arlequin de la Villeneuve, entre Grenoble et Echirolles, convoque deux histoires : celle d’un projet urbaniste un peu utopique mené dans les années 1970, et celle, plus noire, des émeutes de 2010, déclenchées par la mort d’un jeune braqueur du quartier, abattu par la police.
Aujourd’hui, sur le site de la ville de Grenoble, c’est sur un autre registre que je découvre l’Arlequin. Depuis le début du confinement, chaque soir à partir de 18h, les habitant·es du bâtiment 170 se retrouvent à leur balcon. Ils ne se contentent pas d’applaudir le personnel soignant comme ailleurs : ils font de véritables concerts. Les images montrent un accordéon, un ukulélé, et plusieurs chanteur·euses, chacun·e perché·e dans l’encadrement de sa fenêtre. L’idée a été lancée par une cheffe de chœur locale. Puis plusieurs voisin·es ont travaillé ensemble à l’écriture de chansons. Les paroles ont été envoyées par mail ou postées dans les boites aux lettres de l’immeuble. Il y a celle dont chaque couplet raconte un jour de confinement et ses nouveaux aléas, du « grand rangement » à la pénurie de chocolat blanc, en passant par l’épouse partie vivre chez son amant. Il y a cette autre, dont le refrain se termine par un cathartique : « Va te faire voir sur Uranus, connard de virus ! » Disons-le, ça fait du bien à tout le monde. Encore plus lorsqu’on est confiné en haut d’un immeuble, sans doute.
Pour ma part, enfermée dans une petite maison, lorsque je sortirai sur mon balcon, ce soir à 20h, encadrée de mes parents, nous nous retrouverons seul·es face à des fenêtres closes. Si nos applaudissements insistent quelques minutes, une petite fille émergera peut-être des rideaux d’une porte vitrée, un peu plus loin à gauche, suivie par sa mère qui l’emmitouflera dans un manteau. Nous tendrons l’oreille vers la rumeur qui s’élève de la place Karl Marx, au bout de la rue, où les acclamations résonnent entre les immeubles. Puis nous rentrerons en haussant les épaules, toujours sans nouvelles de nos voisin·es.
Par Isabelle Missiaen
Au bout de ma rue, la place Karl Marx. Saint Martin d’Hères, 22 avril 2020 © Isabelle Missiaen
Mardi 21 avril – Du sang contre le coronavirus
Ce matin, pour la première fois depuis le début du confinement, j’ai enfin pu m’éloigner de plus d’un kilomètre de mon appartement. Je me suis rendue à l’Etablissement Français du Sang à Confluence pour faire un don du sang. A l’accueil du bâtiment, les « gestes barrière » sont scrupuleusement respectés : lavage des mains au gel hydroalcoolique, distribution de masques et maintien des distances de sécurité.
Les réserves de sang ont baissé au début de l’épidémie de Covid-19, mais après plusieurs appels au don de l’EFS, elles ont maintenant retrouvé un niveau satisfaisant. Dans le bâtiment de l’EFS à Confluence, les donneur.ses sont nombreux.ses et les infirmier.es en sous-effectif. Pendant toute la durée de mon don, je les entends s’interroger sur l’arrivée ou non de renforts pour la fin de la matinée.
L’unité qui s’occupe du don de plasma est particulièrement débordée. Pour ce don, le sang est d’abord prélevé, puis centrifugé afin de récupérer le plasma et réinjecté aux donneur.ses. L’opération, répétée plusieurs fois, dure près d’une heure, contre moins d’un quart d’heure pour un simple don du sang. Mon copain est parmi les donneur.ses de plasma de ce jour. Il fait partie de l’échantillon de l’essai clinique « Coviplasm » mené par les Hôpitaux de Paris avec l’Inserm et l’EFS.
Cet essai vise à tester l’efficacité de la transfusion de plasma de patient.es guéris du Covid-19 pour traiter la maladie. Il a débuté au début du mois d’avril dans trois régions : Île-de-France, Bourgogne-Franche-Comté et Grand-Est. Il a récemment été élargi à d’autres régions, dont Auvergne-Rhône-Alpes.
L’idée est que les anticorps des personnes guéries, contenus dans le plasma, peuvent booster le système immunitaire des malades et aider à leur guérison. Les premiers résultats sont attendus pour le 15 mai. C’est un vrai espoir dans la lutte contre le coronavirus. J’espère que les essais seront concluants et que les personnes guéries – comme moi – pourront donner leur plasma pour aider les autres malades.
A la sortie du bâtiment, une petite affiche rouge et bleue nous dit « Merci de votre générosité, vous êtes fabuleux ». Je pense à toustes les soignant.es et chercheur.ses engagé.es dans la lutte contre le coronavirus : ce sont elleux qui sont fabuleux.ses.
Par Amandine Miallier
Visuel de communication de l’Etablissement Français du Sang 2020, © EFS
Dimanche 19 avril – Il est trois heures du matin sur Twitter
Il est trois heures du matin. L’image que je renvoie ne doit pas être des plus flatteuses. Je suis couché, la seule lumière de mon téléphone éclairant mon visage, le regard hébété. Hébété car cela fait une heure au moins que je parcours le hashtag #Villeneuvelagarenne. Les tweets qui s’y succèdent dénoncent une possible bavure policière dans une banlieue d’Île-de-France. Selon Franceinfo, un jeune homme de trente ans, poursuivi par les forces de l’ordre car roulant à vive allure au volant d’un deux roues, a percuté la portière d’une voiture de police banalisée qui stationnait. L’impact a entraîné sa chute, lui causant une fracture ouverte de la jambe. L’enquête doit déterminer si la portière était ouverte volontairement ou non.
Quand on regarde la vidéo du jeune homme gisant au sol, poussant des cris de douleurs, la police s’affairant autour pour tenter de lui poser un garrot, avec en fond les protestations des habitants, comment ne pas avoir en tête le film Les Misérables.
Le sentiment qui m’envahit quand j’éteins enfin mon portable est le même qui m’avait envahi quand j’étais sorti de la salle de cinéma. L’incompréhension la plus totale face à ces événements tragiques en banlieue, qui se déroulent dans la plus grande indifférence, portés à notre connaissance uniquement au travers de quelques drames ayant faits les gros titres. La même question me taraude également. Comment réagir ? Quels mots mettre sur cette incompréhension ? Je suis blanc et peux faire des études grâce aux ressources financières de mes parents. Comment alors ne pas sonner comme le privilégié qui se révolte deux fois par an et qui retourne ensuite à ses préoccupations futiles? Je n’ai d’ailleurs pas encore trouvé de réponse en écrivant ces mots.
Qu’importe, quand on regarde les tweets mettant dos à dos des vidéos prises à Paris, envahie par les joggers, et celle de cet homme à terre criant de douleur, il semble qu’en France, “certains sont plus égaux que d’autres”, selon les mots d’Orwell. Et même le confinement ne semble pas avoir mis fin à cela.
Les tendances sur Twitter en ce dimanche matin. Capture d’écran. 19/04/20. © Jules Fresard
Par Jules Fresard
Jeudi 16 avril – Stage ou pas stage ?
Depuis l’allocution télévisée du président Macron en début de semaine, je suis en plein doute. Plus les semaines avancent, plus les incertitudes planent autour de mon stage d’été. Je n’ai pas de nouvelles du journal pour lequel je vais travailler et les annonces faites par Emmanuel Macron lundi soir ne m’ont pas vraiment rassurée. Pendant mon stage, il était prévu que je m’occupe notamment de la rubrique “style de vie” de l’hebdomadaire lyonnais : les sorties culturelles, gastronomiques et shopping. Mais vu l’incertitude qui plane quant à la reprise dans ces secteurs d’activité, difficile de savoir s’il y aura du travail pour moi à la rédaction du journal.
Depuis la mi-mars, de nombreux étudiants sont dans le même cas de figure que moi, par rapport à leur stage. Cette situation concerne notamment les étudiants qui devaient réaliser leur stage dans le secteur de l’événementiel ou de la culture. En effet, l’annulation jusqu’à mi-juillet des grands rassemblements comme les festivals ou salons fait planer le doute sur la possibilité de réaliser des stages dans ce domaine. Et au vu des conditions actuelles, difficile de trouver un plan B en cas d’annulation.
Il y a aussi le cas des étudiants qui, au début du confinement, étaient en période de stage. Si, dans certains domaines d’activité comme l’enseignement ou la communication d’entreprise, le travail à distance est possible, d’autres étudiants ont vu leur stage écourté ou reporté. Leur parcours d’études est amputé d’une expérience professionnelle importante pour l’insertion professionnelle, surtout s’ils entrent dans la vie active dans quelques mois.
En attendant d’en savoir plus sur mon stage, je relativise en me disant que celui-ci ne doit commencer que début juillet. D’ici là, tout peut arriver. L’imprévisibilité est l’une des caractéristiques de cette crise sanitaire, on dirait bien.
Par Océane Trouillot
Mercredi 15 avril – Le mot de la rédac chef : Trouver le bon ton
Comment rendre intéressant un événement dont tout le monde parle ? Depuis maintenant un mois, notre rédaction vous propose des articles en lien avec la crise sanitaire actuelle. Mais avant d’écrire, on a réfléchi, on a discuté : de quoi parler, quels angles adopter, comment en parler… Nous nous sommes tous demandé comment trouver le bon ton. Celui assez léger pour ne pas vous faire paniquer et assez sérieux pour ne pas être ridicule.
En tant que journal étudiant, on s’est aussi demandé si on devait parler des mêmes choses que tous les autres grands médias. Comment notre travail pourrait-il valoir le leur ? Mais, après tout, nous sommes un journal tout autant que les autres, pourquoi ne serions-nous pas légitimes ? Alors, comme d’autres, mais avec nos angles, avec nos yeux d’étudiants, nous nous sommes penchés sur le sort des institutrices ou nous vous avons raconté nos premiers jours de confinement. Car oui nous sommes un journal étudiant, c’est ce qui fait notre force : notre regard est différent.
Quant à ce journal de bord, entre anecdotes personnelles et informations sur notre monde, la balance se doit d’être équilibrée. Là aussi, trouver le bon ton n’a pas été évident, et ça ne l’est toujours pas, d’ailleurs. Alors, tel un funambule, les jeunes journalistes que nous sommes se sont essayés à l’exercice, parfois trébuchants, mais essayant toujours d’allier le particulier et le général pour vous offrir des papiers de qualité.
Alors tant que durera cette période un peu folle, L’Ecornifleur sera là pour vous informer, vous faire partager nos émotions, vous détendre, essayer de vous apprendre quelque chose et vous faire découvrir tout ce qui se passe autour de vous. En essayant de trouver le bon ton. Ou plutôt les différents tons qui vous parlent et qui nous plaisent. On fait aussi ça par plaisir, après tout !
Par Clarisse Portevin
Mardi 14 avril – « La vie d’avant »
« A quelle échéance, dès lors, peut-on espérer entrevoir la fin définitive de cette épreuve ? Quand pourrons-nous renouer avec la vie d’avant ? » Hier soir, comme plus de 30 millions de Français, j’ai écouté Emmanuel Macron, dans sa troisième allocution, formuler tout haut cette interrogation lancinante. « J’aimerais tellement pouvoir tout vous dire et répondre à chacune de ces questions », a-t-il poursuivi, « mais en toute franchise, en toute humilité, nous n’avons pas de réponse définitive à cela. » Voilà que notre président fait preuve d’humilité. De quoi faire sérieusement douter d’un retour à la normale.
Puis, quelques minutes plus tard, il n’est plus question de tendre à « renouer avec la vie d’avant ». Il est question d’un « ébranlement ». « Sachons le vivre comme tel », nous intime le président. « Sachons, dans ce moment, sortir des sentiers battus, des idéologies, et nous réinventer. Moi le premier. » A ces derniers mots, ses lèvres se crispent en une petite moue presque contrite. Je me redresse sur mon canapé, soudain attentive, et l’écoute encore parler de « bâtir un autre projet ».
Retour à la normale ou nouveau départ ? Après un mois de confinement, j’oscille de l’un à l’autre. Je me surprends, coupable, à guetter ce moment où « tout redeviendra comme avant ». Pourquoi coupable ? Parce qu’il n’y a pas deux mois, nous arpentions les rues un jour sur deux en criant que, décidément, nous en avions « Assez ! Assez ! Assez de cette société ! ».
Que restera-t-il, dans la mémoire collective, de ce début d’année 2020, théâtre de mobilisations inédites dans tout le pays ? Du 5 décembre dernier, début d’une grève générale dont Noël n’a pas eu raison, et, un mois plus tôt, de l’immolation par le feu d’un étudiant lyonnais ? Nous voulions refaire le monde et aujourd’hui, quand nous regardons devant, c’est trop souvent pour y guetter la prochaine opportunité de nous serrer tous ensembles dans les escalators d’un centre commercial déterminé à relancer son économie, ou de sauter dans le premier avion disposé à nous envoyer au soleil, autant pour le bilan carbone.
Tout à coup, Emmanuel Macron réalise que « notre pays, aujourd’hui, tient tout entier sur des femmes et des hommes que nos économies reconnaissent et rémunèrent si mal ». Je m’efforce de m’enthousiasmer devant cette prise de conscience et d’espérer des changements profonds dans le futur. Puis je retombe vite dans ma torpeur.
L’actualité sportive étant en standby au moins jusqu’à mi-juillet, depuis quelques jours, la chaîne TV L’Equipe 21 repasse des étapes d’anciens Tours de France. Faute de capacité d’action au présent, je me réfugie dans le souvenir de l’été 2011 : Schlek, Voeckler, Contador, tous ces coureurs à l’ancienne qui réveillent mon côté réac et me font dire que le cyclisme, c’était mieux avant. Je me berce dans cette langueur ordinairement inhérente au mois de juillet, quand le temps s’arrête et que l’inactivité n’est pas coupable. Le confinement total durera jusqu’au 11 mai. Le lendemain de mon anniversaire. Parfois, la perspective de mon stage, qui commencera, si tout va bien, le 25 mai, me fait sursauter : j’ai l’impression que je ne saurais plus jamais redevenir active.
Par Isabelle Missiaen
En plein mois d’avril, la chaîne l’Equipe rediffuse des étapes des Tours de France des années précédentes. Saint-Martin-d’Hères, 14 Avril 2020 © Isabelle Missiaen
Lundi 13 avril – « J’aime les bananes, mais j’adore les ananas »
Pendant ce confinement, qui risque de s’allonger drastiquement en ce lundi saint du 13 avril, à la télévision, c’est le branle-bas de combats. En effet, entre deux déclarations du Professeur Salomon, la communication du gouvernement sur les « gestes barrières » et la déclaration de tel ou telle infectiologue, les chaînes télévision s’attèlent à proposer des divertissements, des reportages, des émissions pour nous faire sortir de chez nous. C’était le cas hier soir de Zone Interdite sur M6, qui nous proposait de suivre le parcours de familles qui ont décidé de « tout quitter pour faire le tour du monde ». Entre l’achat d’un camping-car et la baignade dans un lagon transparent en Polynésie française, les parents doivent se s’adonner à une autre activité que l’on n’imagine jamais quand on part en vacances : faire l’école aux enfants. Jusqu’à présent, dans l’imaginaire collectif, le parent professeur était soit un expatrié baroudeur à l’autre bout du monde, un déterminé à offrir à ses enfants autre chose que le modèle scolaire en vigueur, soit, dans les cas les plus tristes, un parent contraint d’enseigner à son enfant à la maison ou l’hôpital pour cause de maladie ou de phobie scolaire. Mais aujourd’hui, avec ce long confinement, toute personne ayant des enfants, de la toute petite section de maternelle à la terminale, se voit obligée d’endosser ce rôle. Celleux qui jusqu’à présent se contentaient de surveiller, vérifier ou encourager leurs jolies têtes blondes à faire leurs devoirs, se retrouvent dans la peau de la maîtresse, de la professeure de SVT ou de mathématiques. Même si les enseigant.e.s insistent sur le fait que les parents ne doivent pas, et ne peuvent pas prendre ce rôle, il y a tout de même une pression sur elleux.
Comme beaucoup, je faisais l’autre jour un apéro sur zoom avec mes ami.e.s, et trois d’entre elleux sont parents. L’une nous confiait avoir passé plus d’une heure et quart sur cette phrase : « j’aime les bananes, mais j’adore les ananas ». Cela pourrait sembler risible, sauf que dans ce cas-là, sa fille, en grande section, doit apprendre à lire. Cette pratique essentielle, que l’on avait jusqu’alors confiée aux quelques 330 000 instituteur.trice.s, se retrouve dans les mains de parents parfois dépassés. Un autre, parent d’un petit garçon de quatre ans me disait alors : « On nous demande de faire quelque chose pour lequel nous ne sommes pas formés ». Selon l’âge, les compétences des parents mais aussi l’école d’origine des enfants, toustes ne sont pas égaux.ales face à ce confinement. Les écoles des deux bambins en question ne sont espacées que de 10km, pourtant de l’une à l’autre les méthodes divergent. Dans l’une la maîtresse accroche au portail les devoirs des enfants, et donne aux parents n’ayant pas d’imprimante des créneaux horaires pour venir les récupérer. Pour les autres parents l’envoi se fait par mail, iels doivent se rendre à l’école. La maîtresse, en soutien aux parents, les appelle toutes les deux semaines pour prendre des nouvelles du petit. Dans la seconde, l’enseignante suit à distance ses élèves, et par une application, elle peut voir où en est chacun.e. Cela lui permet alors de proposer des exercices adaptés. Mais, comme le reste de l’année, même en dehors des “heures de classe” les parents continuent d’enseigner à leur enfant, mais dans cette situation, il n’y a plus de barrière entre l’école et la maison.
Lundi 13 avril, Apprendre l’écriture à la maison – Devoir moyenne section – Anonyme
Tous les pronostics penchent pour un retour sur les bancs de l’école en septembre prochain. Pour la zone A où se situe Lyon, cela implique encore 45 jours de classe à assurer pour les maternelles et les primaires. 45 jours pour faire en sorte que son enfant ne soit pas perdu en septembre, pour satisfaire la maîtresse et effectuer consciencieusement les consignes données. Pour les plus téméraires, il restera toujours les cahiers de vacances pour poursuivre l’effort pendant la période estivale, et pour celleux qui (télé)travaillent, l’espoir que ces quelques mois de confinement n’affecteront pas l’avenir de leur progéniture.
En attendant 20h et la suite des événements, restez chez vous, les parents vous en remercieront !
Par Célia Bancillon
Dimanche 12 avril – Cette fameuse productivité
Depuis le début du confinement, certain.es influenceur.euses ont trouvé une nouvelle niche dans laquelle s’engouffrer. Les discours sur la productivité. Selon eux, le confinement serait une période à exploiter pour réaliser tous les objectifs que l’on aurait mis de côté depuis des années. Ainsi, à coup de stories Instagram et de tweets partagés en masse, ils nous abreuvent de journées types, qu’il faudrait suivre à la lettre pour rentabiliser au maximum cette période exceptionnelle.
À titre d’exemple, @plntbasedcutie a partagé le 17 mars des captures d’écran de sa routine quotidienne. On y apprend qu’elle se lève à sept heures pour méditer et faire du yoga. Elle s’autorise néanmoins deux heures dans sa journée pour « be lazy », c’est-à-dire regarder un film. Moi qui pensais atteindre le summum de ma productivité en regardant deux films par jour, j’apprends en fait que je suis juste fainéant. Ce tweet a d’ailleurs été retweeté plus de 83 000 fois, même Barack Obama ne fait pas mieux.
Le problème, avec ce genre de messages partagés en masse, c’est l’idée qu’ils véhiculent et les problèmes qu’ils invisibilisent. En laissant penser que le confinement est une période que l’on doit à tout prix rendre “productive”, on pointe du doigt ceux qui ne le sont pas. Mais ce que ces influenceur.euses semblent oublier, c’est que le confinement n’a pas été mis en place pour laisser aux personnes le temps de faire deux heures de yoga par jour. Mais pour stopper la propagation d’un virus qui a déjà fait plus de 100 000 morts, saturé les hôpitaux et provoqué une crise économique majeure. On invisibilise aussi les personnes qui ne peuvent pas se permettre de passer leur journée à lire et méditer, car certaines doivent encore se rendre au travail, d’autres sont en situation de détresse psychologique, sans évoquer celles et ceux ne possédant pas de toit, ne leur permettant donc pas de planifier chaque moment de leurs journées.
Si l’on veut passer son confinement à le rendre le plus productif possible, tant mieux, mais il ne faut pas perdre de vue que si c’est le cas, c’est une position de privilégié.
Par Jules Fresard
Capture d’écran du tweet mentionné. 12/04/2020. © Jules Fresard
Samedi 11 avril – Vous reprendrez bien une dose de complot (pour vous rassurer) ?
Capture d’écran d’une vidéo tournée par un youtuber complotiste dans la salle d’accueil puis dans d’autres parties de l’hôpital Sainte-Musse de Toulon, “anormalement vides” selon lui. © Capture d’écran / “Vegan Tragédie”
J’essaye de me tenir au courant des dernières théories du complot. Soit sur les réseaux sociaux, soit en parcourant les rubrique “fact-checking” de différents médias. Parfois, elles me font rire, quand elles sont décalées ou grotesques. Mais la plupart du temps elles me donnent des indices sur mes sujets d’inquiétude du moment. Leur seule part de vérité.
La dernière en date, dont parlait Checknews hier : sous le #FilmYourHospital, des individus se sont mis en scènes sur Twitter en visite dans des hôpitaux semblant vides, pour prouver que la crise liée à l’épidémie de Coronavirus n’est “pas si grave que ça”. Souvent, ces théories donnent des explications simples à des problèmes compliqués pour rassurer leur auditoire.
A force de les voir passer, il me semble que ces remèdes miracles à l’angoisse que provoque l’actualité ont une structure simple. Les théories du complot ont une base commune : on vous ment, et les gouvernements ont organisé la chose qui vous angoisse au profit d’un groupe d’intérêt. Ce dernier varie en fonction de la coloration politique, de la théorie. Si elle est de gauche, on vous servira un complot ourdi par le grand patronat, un lobby industriel, ou les médias possédés par les capitalistes. Si vous êtes (franchement) de droite, ce sera au profit des gauchistes voulant détruire les vraies valeurs de la France, de l’Etat rempli de fonctionnaires malveillants et de cabinets noirs. Bien sûr, la bête n’est jamais loin. L’extrême droite est toujours accrochée à ses boucs émissaires : juifs, francs-maçons et personnes LGBT, que les hérauts de cette idéologie accusent encore aujourd’hui de tous les maux.
A la fin de la vidéo évoquée plus haut, son auteur tire des conclusions : selon lui le confinement signifierait que l’Etat Français deviendrait totalitaire. Même si cela se base sur des éléments faux (les hôpitaux vides), on peut en retirer quelque chose. Certains de nos compatriotes craignent que le gouvernement prenne un visage plus autoritaire après cette crise.
Par Pierre Petitcolin
Jeudi 9 avril – Confinement… pour qui ?
« Bonjour à tous, vous m’entendez ? » Dans la pièce d’à côté, mon père commence son deuxième cours de la journée sur Discord. Il prendra une petite heure pour manger avec nous ce midi, puis disparaîtra à nouveau dans sa chambre jusqu’au repas du soir. Lui qui a toujours beaucoup bossé, depuis le confinement, ne s’arrête plus. Cours, réunions, gestion administrative, il est submergé.
En bas, ma mère attend ses collègues devant sa webcam pour la réunion hebdomadaire. Chez nous, tout le monde télétravaille. On ne sort presque plus, on ne voit plus personne. Et on observe avec incrédulité, chaque soir, que le nombre de nouveaux cas de Covid-19 continue d’augmenter dans le pays.
Ce matin, FranceInfo révélait les résultats d’une étude menée par Odoxa : « 45% des actifs ne travaillent plus du tout. […] Et parmi celles et ceux qui restent actifs, seulement un sur quatre se rend encore physiquement au travail. »
A noter que parmi ces travailleurs forcés de ne pas respecter le confinement, tous ne font pas marcher une économie « essentielle ». L’entreprise où travaille ma cousine, Vestiaire Collective, refuse de mettre ses employés en télétravail ou en chômage technique, malgré plusieurs cas de coronavirus dans le personnel. Il est vrai que la vente en ligne de produits de luxe de seconde main a quelque chose de vital. La plateforme Vinted vient également d’annoncer qu’elle relançait ses ventes. Fin mars, les activités d’assemblage et de production d’Airbus ont repris à Toulouse. Plusieurs chantiers de BTP ont rappelé leurs ouvriers au travail. Comme si le spectacle de ce repos forcé était insoutenable à la direction. A Paris, Anne Hidalgo est forcée d’interdire les joggings en pleine journée pour limiter les contacts. Pendant ce temps-là, des secteurs économiques non-essentiels réunissent chaque jour leurs travailleurs, aux dépens de la santé collective.
Peut-on se consoler en voyant que c’est pire ailleurs ? Aux Etats-Unis, mardi, les électeurs ont été appelés à voter pour les primaires démocrates dans le Wisconsin. Les élections, qui avaient été annulées par le parti démocrates compte-tenu de la crise sanitaire, on finalement été maintenues par la cour suprême de l’Etat, majoritairement républicaine. Dans la grande ville de Milwaukee, six mille personnes se sont serrées dans les cinq bureaux de vote qui avaient pu ouvrir (sur une centaine). Hier, Bernie Sanders a annoncé qu’il suspendait sa campagne. Pourtant, je ne peux m’empêcher de penser que, lorsqu’ils sortiront de l’épidémie, les Américains auront peut-être envie d’un candidat prêt à repenser leur système de santé.
Par Isabelle Missiaen
Mercredi 8 avril – La précarité continue
Ce matin, en me levant (tard, car depuis le début du confinement, impossible de sortir du lit avant 9h30 ou 10h), j’écoute l’émission Grand bien vous fasse ! à la radio. Le thème du jour est : Comment motiver ses enfants à étudier en temps de confinement ? Brigitte Prot, psychopédagogue, y fustige l’instantanéisme et la course à la performance.
A 21 ans et trois semaines de confinement passés, j’ai l’impression de faire face à la même question : comment faire pour suivre les cours, me concentrer, trouver des sujets d’articles en étant coincée dans un appartement où je n’ai jamais réussi à travailler efficacement ? Les cafés de Guillotière et les bibliothèques universitaires me manquent. Et comment arrêter cette « course à la performance », à l’efficacité, quand on sait encore à peine comment se déroulera la fin du semestre ? Quelques mails de la direction nous annoncent une réflexion en cours sur les examens ; notre professeure de séminaire nous prévient du report de quinze jours du rendu des mémoires ; des enseignant.e.s confirment les examens de travaux dirigés, prévus la semaine prochaine – ils se feront en ligne ; des nouvelles arrivent des autres IEP: à Lille, les partiels et le grand oral sont annulés …
Je lis sur les réseaux sociaux le stress, l’angoisse de certain.e.s de mes ami.e.s. C’est le trop de travaux à rendre, ce sont les cours en ligne difficiles à suivre, ou, au contraire, c’est le manque de temps, d’informations, l’incertitude sur la validation du semestre. C’est l’absence de réponse à un mail exprimant une situation de détresse. C’est aussi la longueur du confinement, sa durée indéterminée.
Et puis, il y a ceux pour qui, à l’angoisse scolaire et à l’incapacité de se mettre au travail, au stress lié à la contagion de l’épidémie, s’ajoutent des considérations financières. L’aide d’urgence du CROUS lyonnais est toujours une solution, les assistant.e.s sociales procèdent aux entretiens par téléphone. Légitimement, je n’en bénéficierai pas, même si mon budget augmente sensiblement : mes quelques sous de côté et mes parents peuvent m’aider. Mais, alors que dans mon appartement sombre et mal isolé les KWh défilent et que manger équilibré tous les jours se heurte à l’augmentation des prix dans les supérettes alentours, je pense à tous les autres étudiants pour qui le confinement laissera des comptes en banque vides et des esprits anxieux.
Par Romane Sauvage
Un lit et un bureau : épopée d’un confinement étudiant. Lyon, 8 avril 2020 © Romane Sauvage
Mardi 7 avril – Tout est devenu flou
J’ai une mère maire. Enfin presque. Élue en tête de liste le 15 mars dernier, elle a vite déchanté devant l’interdiction de réunir un conseil municipal pour l’élection officielle du maire. Mais elle était déjà première adjointe, donc la voilà qui doit gérer cette crise sanitaire étrange et floue, dans ma petite ville de 2400 habitants au milieu des Alpes. Le plus cocasse dans tout ça : le maire sortant, encore à son poste pour le temps de la crise, était son adversaire lors de l’élection. Je sais, on se croirait dans un mauvais feuilleton américain. Un feuilleton américain avec un petit goût d’apocalypse.
Chaque jour, il faut gérer la peur et l’irrationalité, tout en faisant appliquer les ordres, parfois contradictoires, du gouvernement. Alors c’est « réunion de crise » au moins trois fois par semaine. Moi qui pensais que j’allais exploser à force d’être avec elle tout le temps, je la vois finalement assez peu. Tous les matins ou presque, elle se rend à la mairie avec pour seul équipement un masque artisanal et des gants de mauvaise qualité. Finalement, eux aussi sont « en première ligne ». D’ailleurs, plusieurs élus ont succombé au coronavirus suite aux élections municipales. J’en viens à me demander si c’était vraiment une bonne idée de les organiser…
A la maison, il y a son téléphone qui, sans exagérer, doit sonner au moins 15 fois par jour, dès 8h30 et jusqu’à 21h. D’ailleurs, j’ai l’impression qu’ils appellent toujours au moment des repas. Comme si ce n’était pas déjà assez épuisant ! Et puis il y a aussi le coup de fil régulier d’une médecin généraliste du village, pour faire le point. Un rappel que ce virus n’est jamais bien loin. Il faut prendre des nouvelles des personnes vulnérables, gérer le manque de masques et de gel hydroalcoolique. Par deux fois, des livraisons de gel auraient dû arriver, mais on n’a jamais vu l’ombre d’un flacon.
Ici, comme partout, il faut composer avec l’incertitude, sans doute la chose la plus compliquée à gérer pour ma mère qui aime tant tout contrôler. Pourtant, elle me surprend : l’improvisation au jour le jour lui réussit plutôt bien. Car ici comme partout, surtout à la tête de l’État semblerait-il, on navigue à vue.
Par Clarisse Portevin
Même en confinement, ma mère est plus souvent dehors qu’à l’intérieur de la maison. Guillestre, 07/04/2020 © Clarisse Portevin
Lundi 6 avril – Des pâtes, des conserves et du papier toilette
Depuis l’annonce des premières mesures de confinement par le gouvernement, mi-mars, des scènes surréalistes se produisent. Surréalistes dans le sens où jamais on aurait pu penser en arriver là, dans la société qui est la nôtre. Et pourtant…
Des files d’attente interminables pour entrer dans les magasins, des rayons vidés en seulement quelques heures, des disputes entre clients pour des pâtes ou du papier toilette. Oui, nous sommes bien en France, en 2020, mais ces scènes se sont multipliées, jour après jour. Dans la grande surface de mon village, le directeur a même raconté à mes parents que des clients en étaient venus aux mains pour de la farine, et que les employés ne s’embêtent plus à mettre en rayon les produits secs (féculents, conserves), car les clients se servent directement dans les palettes déposées en vrac.
Cette ruée des Français dans les commerces mène à des pénuries. Le réapprovisionnement ne suffit pas à endiguer l’explosion de la consommation des produits de première nécessité. Il n’y qu’à faire le tour du Web pour constater que les manques commencent à se faire ressentir dans la plupart des moyennes et grandes surfaces. Les vidéos d’internautes effarés de voir les rayons des magasins vides, font le buzz sur la toile. Comme cette vidéo qui a circulé sur Facebook fin mars, montrant les rayons de Carrefour Vénissieux dévalisés, plus une bouteille d’eau ni un paquet de papier toilette sur les racks.
On peut imaginer que la crise du coronavirus amènera les Français à changer leur manière de consommer. Désormais, il y aura toujours une part d’achats “au cas où” dans nos paniers de courses. Histoire de ne pas être pris de court, si une crise d’une telle ampleur venait à se reproduire, et d’éviter de passer des jours à chercher un simple paquet de papier toilette, ou de pâtes.
Par Océane Trouillot
Des pâtes, des pâtes, et de la farine. De quoi éviter la pénurie pendant le confinement. Magland, 6/04/2020 © Océane Trouillot
Dimanche 5 Avril 2020 – Taiwan : le nettoyage virtuel des tombes
Sur le fond d’écran de mon ordinateur, une photo me rappelle qu’il y a un an jour pour jour, j’étais en échange universitaire à Taïwan. Cela explique que je sois particulièrement sensible à la gestion taïwanaise de la crise sanitaire du « Wuhan Virus », une expression provocatrice que la République de Chine continue à utiliser pour dénoncer les origines du Coronavirus.
Située à une centaine de kilomètres de la Chine, Taïwan nourrit de nombreuses interdépendances avec le continent: plus d’un million et demi de Taïwanais vivent ou travaillent sur le continent et trois millions de touristes chinois visitent l’île chaque année. Pourtant, on y compte à l’heure actuelle seulement 363 contaminations et 5 décès. Ces chiffres traduisent la gestion optimale de la crise par le gouvernement taïwanais, qui n’est pourtant pas reconnu par les organisations internationales, telles que l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé).
C’est dans ce contexte que le Qing Ming festival a traditionnellement eu lieu ce week-end. Jour férié dédié au culte des ancêtres à Taïwan, il s’agit de l’une des plus anciennes fêtes célébrées en Asie du sud-est. A cette occasion, les familles retournent dans leurs villages natals pour honorer les générations qui les ont précédées. Elles nettoient les tombes, font des offrandes, prient et disent quelques mots à la mémoire du défunt pour espérer son bonheur dans l’au-delà.
Toutefois, alors que la pandémie continue à faire sa loi dans le monde, le gouvernement Taïwanais s’est vu cette année obligé de donner des consignes de sécurité pour éviter la propagation de la maladie. Le confinement n’étant pas obligatoire, les autorités craignent que ce long week-end transforme les cimetières en foyers de contamination.
Ainsi, les familles sont autorisées à visiter les lieux de sépulture, mais doivent autant que possible le faire en petits groupes et s’arranger pour répartir leurs déplacements sur plusieurs jours. Par ailleurs, elles sont incitées à honorer les ancêtres et prier pour les défunts « à distance ». Le gouvernement leur conseille d’envoyer une délégation de quelques personnes par famille sur place et de faire le reste « online ».
« Culte des ancêtres » (Source : Ministère de l’Intérieur de Taïwan)
« Le nettoyage des tombes à distance », une préconisation qui pourrait sembler au premier abord impossible. Pourtant, c’est derrière leurs ordinateurs que la plupart des familles ont brûlé leurs bâtons d’encens. Huit villes et trois comtés ont mis en place des sites web, sur lesquels on peut sélectionner la sépulture dans laquelle un proche est enterré. Une table s’affiche alors au premier plan de la photo. Des fleurs et des bâtons d’encens virtuels peuvent y être déposés en quelques clics. “Nous avons constaté une réelle augmentation du nombre de personnes qui rendent hommage numériquement”, a déclaré Wang Wen-hsiu, directrice adjointe du Bureau des services funéraires de Taipei. D’après elle, “Plus de 33 000 personnes ont rendu hommage sur notre site Web au 31 mars, alors que l’année dernière nous n’en avons vu que 7 000, tout au long de l’année “.
A cela s’ajoute le renforcement des mesures de protection, notamment dans les transports en commun, depuis début Avril. Le port du masque y est obligatoire tandis que des contrôles de températures sont multipliés.
Je me rappelle des caractéristiques des Taïwanais : des personnes extrêmement civiques et représentatives de la notion de responsabilité collective, mais aussi très liées aux traditions et attachées à la piété filiale. J’imagine très clairement le dilemme auxquelles ont dû faire face certaines familles. Cette fête était une menace pour la santé à Taïwan et le gouvernement croise désormais les doigts pour qu’elle ne soit pas le début d’un cauchemar.
Par Blanche Marès
Vendredi 3 avril – A 1km de la banlieue : la banlieue
Ce matin, mon père rentre en héros de sa virée à la grande surface du quartier. Son expédition est l’aboutissement du débat qui a animé la maison pendant plusieurs jours, reflet d’un flou juridique : doit-on aller faire ses courses au magasin le plus proche ? Le périmètre restreint à un kilomètre autour de la maison concerne-t-il seulement les promenades à pied ou l’ensemble des déplacements ?
Ma mère a renoncé à contrecœur à aller acheter ses fruits et légumes à la ferme située dans une banlieue voisine. Dès la première semaine de confinement, les fermiers ont mis en place un système de drive très organisé et très respectueux des mesures barrières. Mais les exemples qui nous parviennent du zèle de certains policiers nous incitent à la prudence. Le site Verbalisé parce que en recense quelques-uns. Cette femme, à qui un agent a rétorqué que l’achat de serviettes hygiéniques n’était pas « vital ». Ou cet homme, qui a reçu une amende parce qu’il avait des biscuits dans son sac de courses. Finalement, un tour sur la rubrique « questions-réponses » du site du gouvernement nous a convaincu que, même si la règle n’interdisait pas clairement d’aller plus loin, il était conseillé de faire ses courses dans le périmètre d’un kilomètre autour du domicile.
Le site web CovidRadius, mis au point par Loïc Bouvet et Maxime Girard, calcule pour vous le périmètre autorisé d’1km autour du domicile. Saint-Martin-d’Hères, Isère, 3 avril 2020 © https://covidradius.info/
Le week-end dernier, deux grenoblois ont mis au point un site web qui mesure automatiquement ce périmètre à partir d’une adresse donnée, non pas à vol d’oiseau, mais bien en comptant les kilomètres parcourus à pied par les rues. Lorsqu’on s’approche de la limite du secteur autorisé, le téléphone se met à vibrer. En entrant mon adresse, je réalise que ma liberté de mouvement échoue à quelques pas de mon ancien collège, à dix minutes de la maison. Mon périmètre n’effleure pas même un pied de colline. Car, contrairement à une légende largement répandue, ma banlieue grenobloise, ce n’est pas la montagne, même pas la campagne, mais bien la ville, ses rues goudronnées et ses immeubles. Encore qu’en ce moment, le taux de pollution y est exceptionnellement bas. Depuis six ans, Eric Piolle* en rêvait. En trois semaines, le Covid-19 l’a fait.
Par Isabelle Missiaen
*Maire écologiste de Grenoble depuis 2014
Jeudi 2 avril – Clara, 20 ans, étudiante infirmière
Ma cousine a 20 ans. Elle s’appelle Clara, et est actuellement étudiante en deuxième année à l’Institut de Formation en Soins Infirmiers (IFSI) de Besançon. Elle souhaite devenir infirmière, comme sa mère. Dans la famille, ça n’a étonné personne. Clara a toujours eu à cœur d’aider, n’importe qui et n’importe quand. C’était d’ailleurs la seule à vouloir aller nettoyer les tombes familiales avec ma grand-mère, avant la Toussaint.
Elle devait commencer, la semaine dernière, un stage au CHU de Besançon, dans le service de chirurgie viscérale. Mais, crise du Coronavirus oblige, ses plans ont été modifiés. Toutes les opérations prévues dans ce service ont été reportées. Depuis lundi, elle travaille donc en réanimation, avec des patients atteints du Covid-19.
Clara a été réquisitionnée, afin de combattre la crise qui touche actuellement notre pays. Elle fait partie de cette « réserve sanitaire », appelée à prêter main forte aux soignants et soignantes, débordés actuellement. Au sein de cette réserve, c’est donc 9 000 futurs infirmiers et infirmières sans grande expérience, qui vont, comme ma cousine, s’occuper de malades atteints d’un virus dont tout le monde ignorait l’existence il y a 5 mois.
Lundi soir, elle m’a envoyé un message vocal sur Snapchat. La voix émue, elle m’expliquait à quel point c’était compliqué de se retrouver nez à nez avec des patients épuisés et découragés. Elle m’a raconté cette anecdote, qui l’a bouleversée. Celle d’un homme sur qui elle a dû pratiquer un test au Covid, et qui s’est mis à saigner du nez quand elle a inséré le dispositif. Elle m’a raconté cela à chaud, après avoir travaillée sans pause, de 13h30 à 21h30. J’entendais les clefs de sa voiture tourner en fond. J’ai donc compris qu’elle sortait seulement de sa tournée, et qu’elle avait besoin de partager immédiatement ce qu’elle avait vécu. Comme pour ne pas être la seule à connaître la situation critique de certains malades, et des ravages que peut provoquer ce virus.
Cet après-midi, alors que j’écris assis à la table de ma cuisine, je pense à Clara, et à tous ces étudiants et étudiantes qui, pendant que l’on regarde les chiffres s’envoler au fil des jours, font leur maximum pour sauver des vies, bénévolement. Je prendrai de ses nouvelles ce soir, quand elle aura terminé son service. C’est la seule chose que je puisse faire.
Par Jules Fresard
La table de ma cuisine. Lyon, 02/04/2020 © Jules Fresard.
Mercredi 1er avril – Le secteur du jardin à l’arrêt
Dehors il fait beau : après deux jours de gris maussade, le soleil est revenu sur ma campagne beaujolaise. Bonne nouvelle, me direz-vous ! Mieux vaut être confiné dehors que dedans, quand on a la chance d’avoir un toit sur la tête le soir venant. Sous ce beau soleil printanier ce serait alors l’occasion de tailler, planter, ratisser et arroser le potager, la haie ou même vous à la ville, rempoter vos petits pots avec ces quelques plantes aromatiques pour pimenter vos repas confinés. Mais voilà, pour le petit monde du jardin, on a aussi sifflé le coup d’arrêt. Et chez eux, ça ne fera pas de cadeau. Le printemps, c’est le moment le plus important de l’année, et quand je dis eux, je parle bien sur des jardineries, des horticulteurs, des commerciaux et de toutes celles et ceux qui participent à fleurir vos jardins, égayer vos balcons et illuminer vos terrasses. Selon Ouest-France, pour les horticulteurs, cette saison représente même 80% de ses ventes annuelles. Bien dérisoire en ces temps de pandémie et de priorité sanitaire ? Bien sûr ! Pourtant, pour ce petit monde vert c’est un coup de massue. Certaines jardineries sont restées ouvertes pour l’alimentation des animaux de compagnie, et d’autres pour les plants horticoles, pour éviter que tous partent au compost. Alors oui, vous pourrez toujours aller pousser votre caddie dans un hypermarché pour récolter plants de salades et graines de courges, mais pour les indépendants, les conséquences économiques seront notables à terme.
Applaudir à la campagne. Beaujolais, le 31/03/2020. Célia Bancillon
Le soleil brille toujours, alors malgré cette période de « congés forcés non payés » comme dit mon père, gardons le sourire et soutenons celles et ceux qui continuent de travailler pour nous. Ce soir, à 20h, comme tous les jours nous irons chacun.e d’un côté de la terrasse pour applaudir les soignants. Mais ici, à part les cloches qui brisent le silence du crépuscule, et nos trois pauvres applaudissements, nous n’entendrons rien.
Par Célia Bancillon
Lundi 30 mars – Les IEP sur dossier
La nouvelle est parue dans la presse mardi 24 mars : le concours commun des IEP est annulé. Vendredi, les nouvelles modalités d’admission ont été publiées dans un communiqué commun du “réseau Sciences Po”. Et elles sont simples : seules “les notes des bulletins scolaires des classes de 1ère et de Terminale, ainsi que les notes écrites et orales du baccalauréat de français” compteront. Avec des coefficients suivants les séries du baccalauréat et les matières évaluées habituellement lors du concours. Pour faire simple : l’Histoire, par exemple, sera plus importante que les autres disciplines, les sciences aussi, si c’est la spécialité du candidat.
Cette nouvelle m’aurait terrorisé si j’avais été l’un des candidats du concours commun de cette année. La politique m’intéressait déjà au lycée, et on m’avait poussé à faire la préparation au concours commun que mon lycée proposait. Proposition que j’avais écartée : à l’époque, aller à Sciences Po ne me disait rien, je rêvais de partir loin de chez moi et surtout des salles de classe. Je n’ai passé le concours que quatre ans plus tard, après avoir fini ma licence. Mais si j’avais souhaité le passer au lycée, j’aurais tout misé sur les épreuves. À ce moment je m’investissais juste assez dans mes études pour pouvoir les poursuivre tranquillement, et mes 11 de moyenne en Terminale m’auraient barré la route.
11 de moyenne ça ne veut rien dire : derrière un 11, il peut y avoir un fils de prof, comme moi, préférant faire la fête, des films et manifester plutôt que réviser pour les cours. En se reposant juste ce qu’il faut sur ses privilèges pour pouvoir profiter de son temps libre. Derrière un 11, il peut aussi y avoir quelqu’un qui n’a pas pu suivre son année sereinement, parce qu’il est passé en établissement pour mineur, parce qu’elle a été interné sous contrainte en hôpital psychiatrique, parce qu’avant sa majorité, il a déjà développé une addiction qui l’empêche d’être à 8 heures en cours de maths. J’en ai le souvenir net, les déterminismes sociaux jouaient à plein régimes à ce moment-là : certains travaillaient leurs matières ou préparaient leurs concours plusieurs heures par jour et avaient eux aussi 11 de moyenne.
Avec l’annulation du concours et le passage à la sélection sur dossier, toutes ces personnes ne pourront entrer pas dans un IEP, l’année prochaine. Parce que sans le contexte ou l’occasion de montrer ce que l’on sait faire lors d’un concours, il ne reste que le 11 sur le bulletin. Et il ne laisse aucune chance d’entrer à Sciences Po.
Par Pierre Petitcolin
Samedi 28 mars – Du baume au coeur
La nouvelle est tombée hier, peu avant 18 heures. Le confinement est prolongé au moins jusqu’au 15 avril prochain, déclaration officielle d’Edouard Philippe. De toute manière, on s’y attendait tous, ce n’est pas comme si quinze jours à la maison allaient suffire à faire fuir le coronavirus.
Ce matin, comme un réflexe, j’allume France 2. Et là, un chiffre attire mon attention. Presque 1000 morts. Le coronavirus a fait près de 1000 victimes en une journée, en Italie. A une trentaine de kilomètres de chez moi.
Toutes ces nouvelles n’améliorent décidément pas mon capital de positivité. Mais dans cette déferlante de mauvaises nouvelles se cachent pourtant des actualités plus réjouissantes. Si la crise du coronavirus mobilise nos vieux réflexes de survie (ainsi que l’ont révélé les disputes entre clients dans les supermarchés pour des pâtes ou du papier toilette), elle réveille aussi notre plus profonde humanité.
A l’image de cette couturière, qui habite à une vingtaine de kilomètres de mon domicile et qui s’est mise à l’oeuvre pour fournir aux centres hospitaliers du secteurs des masques de protection. Ou encore ce pizzaïolo de mon village, qui, au lieu de jeter sa marchandise, a offert une soixantaine de pizzas à ses derniers clients. Il y a également ce fleuriste breton, originaire de Plerguer, qui fleurit les tombes de la commune de sa production perdue.
Oui, c’est vrai, nous vivons une période difficile. Oui, c’est vrai, ces nouvelles paraissent anecdotiques à côté de la grande actualité du moment. Mais ce sont ces gestes de solidarité ou même le fait d’entendre des actualités plus réjouissantes qui permettent de supporter plus facilement le confinement.
Par Océane Trouillot
Du soleil pour la journée, de quoi réchauffer un peu les coeurs. Magland, 28/03/2020 © Océane Trouillot
Vendredi 27 mars – Seize ans et des poussières
Les informations tourbillonnantes autour de la crise du Coronavirus ont tendance à m’étouffer. La maladie est au cœur de l’actualité et c’est souvent le cœur lourd que j’appuie sur le bouton pour éteindre la télévision. Je ne suis pas sortie depuis le début du confinement et me sens éloignée de ce qu’il se passe à l’extérieur. Parfois, j’ai presque tendance à me demander s’il s’agit de la réalité. Dans ma bulle, c’est comme la sensation d’être le personnage secondaire d’un livre de science-fiction. Alors, chaque matin, je continue d’allumer le poste de radio pour tenter à tout prix de me reconnecter au monde qui m’entoure.
C’est au petit déjeuner que j’ai appris la triste nouvelle. Le grésillement de la radio est parvenu jusqu’à mes oreilles. « Il est 8h00 », « Julie, 16 ans, plus jeune victime du Coronavirus » « une épidémie ravageuse », « la barre des 10 000 morts », « rien ne pouvait le prévoir », « en hommage à cette jeune fille », « brusquement envolée, disparue ». Au fil des mots, mes yeux s’affaissent.
Ma petite soeur, une jeune fille de 16 ans comme toutes les autres, à qui je pense en regardant les informations. Gard, 27/03/2020 © Blanche Marès
Je m’égare. Je pense à Olympe, ma petite sœur. Elle aussi a 16 ans, l’âge de tous les possibles. Blonde aux yeux bleus, sa volonté de fer et sa persévérance continuent à m’impressionner.
Ce soir, Jérôme Salomon déclarait qu’en France, seul 42 des 3787 cas en réanimation ont moins de 30 ans. 93% des personnes décédées à l’hôpital ont plus de 65 ans. L’âge moyen du décès est autour de 81 ans. Les victimes recensées jeudi par Public France présentaient pour 57% d’entre elles des comorbidités. Les enfants sans autres causes de morbidités semblent épargnés par les symptômes les plus marqués de maladie grave.
Finalement, aujourd’hui, le soleil a eu du mal à percer. Il semble que l’épaisse couche de nuages ne pourra pas se dissiper. La nature est-elle seulement un havre de paix ? Je suis consciente d’être privilégiée. Avant aujourd’hui, je me pensais quasiment inatteignable. Je vis dans le Gard, un département encore épargné. On y comptait jeudi soir 5 morts, 17 hospitalisations et seulement 11 personnes en réanimation.
Pourtant, je saisis désormais ma grave erreur : celle de me sentir à l’abri de toute menace.
Par Blanche Marès
Jeudi 26 mars – Un dimanche sans fin
J’ai toujours détesté les dimanches. Certains me diront le contraire, d’autres me comprendront. Le dimanche, c’est un entre-deux. On ne sait pas sur quel pied danser. Le dimanche, c’est comme se réveiller d’une trop longue sieste et ne pas savoir si l’on devrait se rendormir (tant qu’à faire, autant se recoucher) ou si l’on devrait se motiver à faire quelque chose ? On est dans un état de léthargie, tout le monde est somnolant, et on traîne sans but, ne sachant si l’on doit profiter des derniers instants du week-end ou déprimer face à la nouvelle semaine qui arrive. Et puis il n’y a jamais de soleil le dimanche, vous ne trouvez pas ?
Alors ma plus grande peur pour ce confinement, c’est sans doute qu’il se transforme en dimanche éternel. Je ne sais pas si je dois profiter de chaque seconde de cette quarantaine ou si je dois déprimer en pensant à l’après… Sauf que là, la nouvelle semaine qui doit arriver, et bien elle ne vient jamais. On est dans l’attente perpétuelle – et ne dit-on pas que le pire, c’est l’attente ? Pas d’objectif, pas de date fatidique : moi qui ne suis efficace que sous la pression de la dernière minute, j’ai du mal à me motiver pour quoi que ce soit (surtout pour travailler les cours, je l’avoue). Et tous mes amis qui se sont mis au sport : comment font-ils, sérieusement ? Je ne m’habille que pour aller déjeuner, et je remets mon pyjama à 19h.
Comme toujours, les grands projets du début (« je vais lire tous ces livres ! », ou « je vais regarder tous ces vieux films ! ») sont sans cesse repoussés. La procrastination est ma meilleure amie. Je suis léthargique et je me retrouve à errer sans but dans la maison : tous les symptômes d’un dimanche éternel. Je ne suis efficace en rien. Mais peut-être que c’est ce qu’il nous faut, finalement : arrêter de vouloir être efficace, et retrouver une douceur, une lenteur de vivre. Peut-être est-ce la raison pour laquelle, pour la première fois, j’apprécie ce qui ressemble à un dimanche sans fin…
Par Clarisse Portevin, Guillestre
Temps de fréquentation de mon lit : 20h/jour – Temps de fréquentation de mon bureau : 1h/jour. Guillestre, 26/03/2020 © Clarisse Portevin
Mercredi 25 mars – Je suis allé faire les courses
Étant confiné à Lyon, je ne peux pas, contrairement à certaines personnes parties se réfugier à la campagne, prendre l’air quotidiennement dans mon jardin. Je passe ainsi mes journées entre mon lit et le canapé, à hésiter entre une série ou un film.
On s’y fait, comme à tout, si bien que quand j’ai réalisé que cela faisait sept jours que je n’avais pas mis un pied dehors, je me suis dit que ce confinement n’allait peut-être pas ressembler à ce long chemin de croix que je m’étais imaginé.
Mais là, je n’ai plus le choix. Mon frigo est vide, comme le compteur d’activité physique sur mon téléphone. Je m’y résous, il faut que j’aille faire les courses, sortir dehors, voir une autre personne que ma colocataire … Tout un programme, si bien que je rumine pendant deux heures dans mon lit la veille du jour-J.
L’ambiance dehors est pesante. Pas d’autres mots. On se toise, on s’écarte, on se méfie. En traversant la place Louis Pradel, je me demande comment la vie va pouvoir reprendre son cours. Pas une personne, si ce n’est quelques livreurs à vélo. Ils ne se sont pas arrêté de pédaler, on veut toujours manger un burger assis dans notre canapé.
À la caisse, j’admire ces personnes qui, comme ma mère, continuent de travailler, s’exposant tous les jours au virus pour un salaire de misère. J’hésite à dire « bon courage » à cette femme qui encaisse mes courses, mais je me retiens au dernier moment. Ça ne sonne pas juste sortant de ma bouche, qui passe mon confinement dans mon lit, où ma seule préoccupation est de savoir comment je vais bien pouvoir me distraire.
En rentrant, alors que Capucine prépare une quiche, je m’assois et lui dit « on vit quand même une drôle d’époque », avant de m’atteler à désinfecter mes courses aux lingettes anti-bactériennes. Bah oui, les gestes barrières.
Par Jules Fresard, Lyon
La cage d’escalier de mon immeuble. 25/03/2020. © Jules Fresard
Mardi 24 mars – Détox numérique
Voilà, aujourd’hui cela fait une semaine jour pour jour que nous sommes confinés chez nous, épidémie de coronavirus oblige. Une semaine aussi que mon moral oscille entre zénitude et inquiétude. À mesure que le bilan des nouveaux cas et décès en France grimpe, j’ai peur. Peur de contracter le virus, de contaminer mes proches.
Comment faire, lorsque les chaînes de télévision, les sites d’information ou les réseaux sociaux n’ont que le mot “COVID-19” à la bouche ? Tout couper, se déconnecter. Et c’est ce que j’essaie de faire, pas à pas. Couper progressivement mon portable, mettre en veille mon ordinateur, quitter le salon quand le journal de 20h commence. Fuir cette réalité pour éviter de penser au pire.
Lire ou dessiner ?
A partir d’une certaine heure, je coupe tout accès à Internet et à la télévision. Je profite de ces moments loin des outils numériques pour faire des activités que je n’ai pas exercées depuis longtemps, par manque de temps. Je me suis remise à lire beaucoup, au rythme d’un bouquin tous les cinq jours, à refaire de l’exercice physique, et même à dessiner (moi qui étais pourtant au bas du classement en arts plastiques, au collège).
Entre autres, je refais la planche d’une bande dessinée lue la semaine dernière, que j’ai beaucoup aimée : Sacrées Sorcières, de Pénélope Bagieu. Côté littérature, mon coeur balance entre classiques et modernes, mais pour le moment, mon choix se porte sur Albert Camus, dont je relis les romans étudiés en première.
Toutes ces activités sont simples et pourtant je les redécouvre, au fil des jours. Elles me permettent de m’évader et de me souvenir qu’il y a autre chose que le portable et le streaming. Je ne sais pas quand cette période de confinement prendra fin, mais je suis certaine d’une chose : après cela, je ne serai plus autant collée à mon téléphone qu’avant.
Par Océane Trouillot, Magland
Ma pile de livres à lire est rechargée pour les semaines à venir : le confinement va bien se passer. Magland, 25/03/2020 © Océane Trouillot
Dimanche 22 mars – Un déjeuner au soleil
J’ouvre les yeux ! Ça y est : on est dimanche ! Pourtant, ce 22 mars ne ressemble en rien à un dimanche traditionnel. En cette période de confinement, difficile de le distinguer des autres jours de la semaine. Je repense à une publication que j’avais aperçue la veille « Les jours de la semaine en période de confinement : lundimanche, mardimanche, mercredimanche, etc » et j’esquisse un sourire.
Enfin, jour 6, la routine est légèrement bouleversée et pour cause : papa ne va pas travailler. Le programme n’en sera pas moins chargé !
Je saute du lit, vais plier le linge et répartir les chaussettes pour que lui aussi profite de sa journée. La maisonnée (composée de mes trois frères et sœurs, papa et Filou mon chien) dort encore. J’ouvre la fenêtre de ma chambre et je profite du calme dont est imprégnée la maison dans laquelle j’ai grandi : un mas provençal perdu au milieu des vignes. Les températures sont douces et les chants d’oiseaux apportent de la vie dans ce monde encore endormi.
Deux heures plus tard, tout le monde est déjà bien actif. Il faut s’occuper de l’entretien du domaine. Au programme, tonte du gazon et élagage des arbres. Tondeuse, tronçonneuse, tracteur, le calme s’envole. Tout le monde se met au travail. Papa coupe les arbres perchés sur son échelle, pendant que mon premier frère coupe les branches à la tronçonneuse. Ma sœur lave le chien, on entend mon second frère passer la tondeuse un peu plus loin. Puis tout le monde rempli la benne du tracteur direction le tas de bois pour les futurs feux de cheminée. Le temps passe vite. La faim se fait ressentir !
« A table ! » Je suis confinée avec ma grand-mère. Celle-ci habite la maison voisine et nous a invités à déjeuner. En entrée : quartiers d’orange, asperges, cornichons et gousses d’ail parfumées de thym. De quoi faire le plein de fraîcheur. Ma grand-mère précise « une recette anticorona, si vous ne sentez pas les saveurs, c’est qu’il y a un problème ! ». En dehors de cette remarque, pas question de prononcer le mot « C . . . . . ». Elle continue à vivre mais sa vie a changé. Depuis mardi, elle ne peut plus rendre visite à mon grand-père dans son EHPAD.
Heureusement, le fondant au chocolat prévu pour le dessert nous fait alors oublier tous nos tracas et profiter pleinement de ce bon dimanche au soleil.
Par Blanche Marès (Mas Carlot, Gard, Occitanie)
Alors que le travail est presque fini, toute la famille participe à l’effort collectif en remplissant le tracteur. Bellegarde, 22/03/2020 © Blanche Marès
Samedi 21 mars – Les geeks du 7eme
Être confiné a été l’occasion pour moi de retrouver les jeux-vidéos.
Je ne les avais pas vraiment quittés. Mais avec les cours et les sorties, ils n’étaient qu’un passe-temps à caler entre deux activités. Jamais plus d’une petite heure. Jeudi dernier, une femme a publié ceci dans le groupe Facebook “La vie à Lyon 7ème” : “Et une autre petite chose, y a t’il des gamers parmi vous ? Je joue à Age of Empires…”
En voyant cette publication, j’ai esquissé un sourire. J’ai beaucoup joué au deuxième opus de la série. Avec ma soeur, avec ma famille. Mon père me l’a offert quand j’avais huit ans. Quand je veux penser à autre chose après une journée pas facile, je sais que je peux lancer une partie.
Nous l’avions ressorti le midi même avec ma soeur. Le jeu nous avait fait commencer, comme toujours, avec notre centre ville, nos moutons, nos trois villageois et notre éclaireur. On entend la même musique, un air martial rythmé, joué à la flûte et au synthétiseur. C’est cela aussi qui est rassurant dans Age of Empires : les parties débutent à chaque fois de la même manière.
Le nombre de commentaires sous la publication me surprend : une cinquantaine de personnes s’est manifestée. Les hommes qui répondent proposent presque tous à celle qui a publié de faire une partie avec eux. Elle répond “pourquoi pas” aux trois premiers avant d’abandonner. Je suis rassuré de voir que je ne suis pas seul à jouer au jeu de mon enfance. Je le suis moins quand je vois une cinquantaine d’hommes de tous âges lui répondre en même temps, d’un coup, lourdement.
L’un des derniers commentaires donne le lien d’un serveur Discord créé pour l’occasion. Je clique sur le lien, il n’y a pas grand monde finalement, seulement six inscrit et deux disponibles. Celui qui a créé le serveur me salue, et je lui propose de lancer une partie.
Il me prévient qu’il n’a pas joué depuis longtemps, puis m’appelle. On discute un peu, se demande comment ça va pendant le confinement. Puis la partie se lance et mes réflexes reviennent. J’ai la pression, mais je ne le dit pas. Pas facile de se lancer face à un inconnu sur le jeu de son enfance. Mais je gagne la première partie au bout de 30 minutes. Mes hommes d’armes lui ont coupé l’accès à sa mine d’or. Un blocus mortel : quelques instants plus tard, il abandonne en riant.
Nous décidons d’en lancer une deuxième, cette fois-ci en se liguant contre deux inconnus. Ils ont l’air bien entraînés. Ils nous battent à plate couture. Peut-être que pour eux, le confinement a déjà commencé quelques semaines plus tôt.
Par Pierre Petitcolin
Les meilleures parties se font en musique. Mes choix de prédilections quand je joue sont les albums de Travis Scott ou du groupe de stoner rock “Black Raimbows”. Lyon, 20/03/20 © Pierre Petitcolin
Vendredi 20 mars – Je suis malade
Je suis malade. Enfin, je l’étais. J’ai passé les deux premiers jours de confinement général dans mon lit à dormir, la fièvre au front, la gorge sèche et des courbatures partout. Mon amie Anna m’a dit « T’abuses en vrai. T’as une grippe au moment de l’épidémie ». Sauf que je n’attrape jamais de grippe, alors, comme elle, j’évite d’y penser. Pas envie d’être celle qui a contaminé tout son entourage le week-end dernier, à l’anniversaire d’un ami.
Et puis, sur Twitter, quelqu’un parle de ses symptômes. Une sensation de respirer de l’air tellement frais que ça en devient douloureux. Retenir sa respiration dix secondes. Voir si l’on tousse. Ok, je peux retenir ma respiration, même si je tousse.
En attendant, je ne bouge pas de mes 30 m² au premier étage d’un petit immeuble. J’ai décidé d’oublier les apéros familiaux et parties de tarot en Bretagne. D’ailleurs, tous les citadins qui fuient vers leurs maisons secondaires m’angoissent. J’ai peur qu’ils aillent faire ce que je n’ai pas voulu faire : contaminer ma famille. Au téléphone, ma mère me dit que les bateaux pour les îles de la côte morbihannaise ont été interdits aux non-résidents permanents. L’hiver, ils n’ont pas de quoi accueillir autant de monde que l’été, surtout pendant une épidémie.
J’essaie d’imaginer à quoi ressemble la vie des autres. En dessous, le même appartement. Mais ils sont au moins trois dedans. Au téléphone, ma grand-mère, Josette. Elle m’a toujours beaucoup fait rire. Surtout, elle n’a jamais vraiment apprécié la technologie, et a oublié la tablette qu’on lui a offerte dans sa maison de Normandie. Elle est en banlieue parisienne. Résultat, comme beaucoup d’autres Français en cette période, elle est un peu déconnectée. Elle pense me rassurer sur sa solitude : « On va se retrouver avec tous les voisins, dans la semaine ! ».
Les journées passent vite. Mais je ne vois pas le soleil, mon appartement est bien trop engoncé entre ses quatre murs. En regardant l’état de mes plantes – mauvais -, je m’inquiète un peu d’un confinement à rallonge. Puis je me rappelle le lierre, sur mon bureau. Il va bien, il suffit de l’arroser. Il donne de l’espoir : je n’ai plus qu’à boire de l’eau pour survivre.
Par Romane Sauvage
La vue, depuis la fenêtre de ma chambre, quand je me penche et me colle à la vitre. Verdict : il fait beau (et les voisins du dernier étage, eux, ont le droit au soleil). Lyon, 20/03/20 © Romane Sauvage
Jeudi 19 mars – The sound of silence
A la campagne, il faut se réhabituer au silence, la nuit surtout. A Lyon, ma fenêtre donne sur une grande artère : il y a toujours du bruit, sans compter les voisins ou la VMC. Des bruits qui deviennent familiers et rassurants avec le temps. Quoi qu’en ce moment, ce doit être plutôt calme là-bas. Ici, le silence est roi. On a beau tendre l’oreille, aucun crac ni aucun pschitt ne vous bercera pour vous endormir. Un silence de plomb parfois, quand on n’y est pas ou plus habitué.
Et si à l’extérieur le silence règne, il faut aussi se réhabituer au bruit d’une maison occupée par six personnes. A 7h du matin, le sifflement de la bouilloire et le roulement des rideaux qu’on tire, puis les rires ou bien les ordres lancés par les parents. C’est le bruit de la vie, celle qui semble avoir quelque peu déserté nos rues en ce moment. Mais c’est aussi un bruit auquel je ne suis plus habituée. Dans mon petit appart, les seuls bruits qui existent sont ceux que je choisis : la radio, ma playlist – ou ma propre voix quand je me mets à parler toute seule après avoir fait une overdose de Politiques publiques. A force de vivre seul, on ne se rend plus compte à quel point le silence peut être apaisant. Ici, il n’est pas question de silence. J’ai bien peur d’avoir la migraine.
Heureusement il y a le soleil, celui qui brille comme nulle part ailleurs, celui que les citadins ne connaîtront jamais. Et j’aurai profité de la dernière journée de ski – ‘avant la fin du monde’, diront certains.
Par Clarisse Portevin
Pas de voisins à l’horizon, le silence règne. Guillestre, 19/03/2020 © Clarisse Portevin
Mercredi 18 mars : Vieux jeans et placard vide
Je suis en exil. Comme d’autres étudiants citadins, j’ai opté pour un confinement au grand air. Confinement imprévu en réalité. J’ai quitté Lyon vendredi, pour un week-end en famille, élections obligent. Je comprends vite que je ferais mieux de ne pas repartir. Me voilà bloquée chez mes parents, avec juste assez de vêtements pour trois jours. Ce qui ne devait être qu’un week-end se transforme en vacances forcées, avec rien à se mettre sur le dos.
Quatre culottes, deux soutifs, pour trois semaines, au moins… Mon placard est vide et je n’ai pas de sœur, à qui piquer un pull : je vais devoir explorer le dressing de ma mère, avec qui j’ai 32 ans d’écart. J’y découvre de vieux jeans à moi, que je ne voulais plus et qu’elle avait récupéré. Avec un tee-shirt noir ou blanc, ça fera l’affaire. Après tout, je ne risque pas de croiser grand monde en ce moment ! D’ailleurs, peut-être vais-je rester en pyjama aujourd’hui, ça me fera toujours une tenue de moins à choisir… Je suis déjà en train de vous écrire depuis mon lit !
Je n’ai pas non plus mes lentilles, quasiment pas de produits de beauté… Rien qui ne soit absolument nécessaire après tout, mais des petites choses qui me rappellent que « chez moi », ce n’est plus ici, mais là-bas, où j’ai toutes mes affaires. Ici, c’est le foyer qui m’impose ses règles – « Clarisse, viens mettre la table ! » – là-bas c’est le foyer où je crée les miennes.
Je pense à mes plantes, chez moi, qui seront sans doute mortes à mon retour. Dire que j’avais réussi à les maintenir en vie jusque-là ! Seul espoir : mon cactus. Je pense à ce que j’ai laissé dans mon frigo, et qui n’aura sans doute pas une très bonne tête, ni une très bonne odeur à mon retour.
Par Clarisse Portevin
Le dressing maternel, dans lequel je vais devoir piocher pendant quelques semaines. Guillestre, 19/03/2020 © Clarisse Portevin
Mardi 17 mars 2020 : Marguerite Yourcenar ou Meryl Streep ?
Jamais je n’aurais pensé me voir enfermé dans un espace clos, contre mon gré. Non pas que je me pense immunisé contre la prison, mais l’idée de devoir rester cloîtré dans un lieu m’a toujours profondément angoissé.
Mais avec le discours d’hier, il faut croire que toutes mes convictions ont été balayées en quelques mots. En regardant une vidéo sur YouTube, j’ai appris que je ne pourrais plus quitter mon appartement de 50 m2 et sans grande luminosité. La performativité du discours d’un Président de la République en temps de crise est assez incroyable.
Pour passer, ou plutôt tuer le temps, je lis, ou du moins j’essaie. L’œuvre au noir de Marguerite Yourcenar, que j’ai commencé il y a un mois, me parait toujours autant impénétrable. Je m’étonne d’ailleurs de comprendre 10 pages d’affilée. Merci le confinement qui, définitivement, concourt à mes capacités de compréhension littéraire. Je passe aussi beaucoup de temps au téléphone, ma mère, mon grand-père, qui ne sait d’ailleurs toujours pas téléphoner. Ça fait du bien de se rendre compte que certaines choses restent immuables.
Je me gave de séries aussi, The Leftovers que l’on m’a conseillé sur Twitter. Je suis devenu accro à la bande originale composée par Max Richter, que j’écoute en boucle.
Et puis, en fin de journée, c’est le drame, le mental breakdown. Comment vais-je tenir 15 jours si ce n’est plus ? Je m’enferme dans ma chambre, bâcle un essai d’anglais, et puis quitte à s’abrutir aux écrans, autant le faire bien. Je vénère mon père abonné à Canal + et je lance un film de Clint Eastwood, Sur la route de Madison. Film de boomer, je l’accorde, mais le jeu d’acteur de Meryl Streep, reine incontestée, vaut le détour.
Ma colocataire. Lyon, 17/08/2020 © Jules Fresard
Par Jules Fresard
Lundi 16 mars 2020 : Rester à la coloc ou pas
Tout le monde ne parle que de ça. Le confinement général de la population devrait être annoncé demain par Emmanuel Macron. Les spéculations vont d’ailleurs bon train, certains parlent de 45 jours. Avec ma colocataire, une question se pose : devons-nous rester à l’appartement ou rentrer chez nos parents ? J’opte instinctivement pour la première option. C’est malheureusement un choix stratégique qui motive ma décision.
Je n’ai pas envie de rentrer chez mes parents, car j’ai peur de ma mère. Jamais je n’aurais pensé écrire ces lignes, mais en ces temps troublés, mes pensées le sont aussi. Elle est caissière, et donc exposée au virus quotidiennement. L’absence de mesures prises par sa direction ne fait que renforcer mes certitudes. Uniquement des gants leur ont été fournis, alors que les caissières et caissiers sont en contact permanent avec des clients potentiellement infectés.
En milieu d’après-midi, et comme la grande majorité des Français et Françaises, nous décidons d’aller faire nos courses. Instinct primaire de survie, ou bien mimétisme des images qui passent en boucle sur les chaînes d’infos, avec ces foules immenses qui se ruent dans les supermarchés. L’ambiance dehors est pesante, faisant ressentir de la gêne teintée de peur. Une queue de 10 mètres s’est formée à l’extérieur de la Biocoop. Pas envie d’attendre des heures, agglutiné avec ces inconnus. Le doute qui nous travaille depuis des jours peut nous laisser penser que dans le lot, certains sont porteurs de la maladie.
20 heures arrivent. Nous regardons le décompte affiché sur la chaîne YouTube de l’Élysée. Et là, la Marseillaise retentit. Macron parle de guerre, d’ennemi invisible, de victoire. Capucine (ma colocataire) a la chair de poule, et d’un coup, cet ennemi, pourtant qualifié d’invisible, apparaît. Le Président prononce même cette phrase, entre deux respirations, comme pour mieux l’appuyer. « L’État paiera ». La crise du coronavirus semble bel et bien perturber tous les esprits. Évidemment, une fois le discours terminé, nous continuons dans notre lancée. Le JT de France 2. Parmi les reportages, un surtout. Celui d’un homme, guéri du coronavirus, qui s’apprête à quitter l’hôpital. « Comment vous sentez-vous ? » lui demande la journaliste. « Comme un homme qui a pris un grand coup dans la gueule, restez loin de cette saloperie. »
Ma chambre le lundi après-midi. Lyon, 16/03/2020 © Jules Fresard
Par Jules Fresard