La pandémie de Covid-19 a provoqué un essor considérable du marché du vélo électrique. Quelques jours après la clôture de la demande pour la prime à l’achat de 500 euros accordée par la métropole de Lyon, l’impact économique de cette « prime vélo » reste à mesurer.

Depuis le déconfinement et la prime à l’achat de la métropole, le magasin spécialisé Nobelity, dans le troisième arrondissement de Lyon, connaît une hausse importante des ventes de vélos électriques. 15/12/2020 – Photo : Danae Corte

« Ils sont trop chers vos vélos ! », lance Lionel Stocard au vendeur de vélos de l’enseigne Altermove, magasin spécialisé du sixième arrondissement de Lyon. Ce mardi 15 décembre 2020, dans la franchise remplie d’engins flambants neufs, le potentiel client scrute les modèles, et surtout les étiquettes. Il explique au vendeur vouloir gagner en puissance en se procurant un vélo électrique, aussi appelé « VAE », pour vélo à assistance électrique.

Cela fait une vingtaine d’années qu’il arpente les rues lyonnaises sur son vieux vélo, sans se considérer comme un « grand sportif ». Plutôt « grand rêveur », l’artiste-peintre s’était fixé un budget de départ de 1 500 euros maximum pour un VAE qui lui permettra aussi de faire ses balades dans les monts du Beaujolais. Depuis 14 heures, il fait le tour des magasins spécialisés pour trouver la perle rare : « C’est la prime qui fait que je m’active pour en trouver. Moi, normalement, je n’ai pas les moyens ».

Et il n’est pas le seul : depuis que la métropole de Lyon a proposé une aide à l’achat jusqu’à 500 euros pour les vélos électriques, pliables ou cargo, plus de 10 000 dossiers ont été reçus par la collectivité.

Lionel Stocard, artiste-peintre, essaye un vélo électrique dans le magasin Ecox, dans le sixième arrondissement de Lyon. Il a prévu de bénéficier de la prime à l’achat de la métropole pour trouver la perle rare. 15/12/2020 – Photo : Danae Corte

Un secteur boosté par les pouvoirs publics…

Cette aide concerne les vélos achetés du 17 mars au vendredi 31 décembre 2020 dans un commerce, une association ou un atelier de la métropole. Fabien Bagnon, élu écologiste à la métropole et chargé des questions de mobilités, a estimé qu’au moins 13 000 dossiers ont dû être reçus à la fin de l’année. Si des chiffres précis ne nous ont pas encore été communiqués, la très grande majorité des dossiers concernerait l’achat d’un VAE, suivi par les vélos pliables et les vélos cargo, d’après l’élu. Avec un délai de traitement conséquent : au moins 7 mois d’attente pour obtenir le versement de l’aide.

À côté, l’État propose également un bonus écologique allant jusqu’à 200 euros pour l’achat d’un VAE. D’autres collectivités territoriales du pays proposent une prime équivalente à celle de Lyon, comme l’Île-de-France ou Montpellier. Dans la région, la métropole de Saint-Étienne propose 200 euros, alors que Grenoble octroie jusqu’à 1 000 euros d’aide pour les professionnels. Les plus petites collectivités bénéficient de l’appui de l’Ademe, l’agence publique de la transition énergétique. Dans la région, l’ingénieur Mathias Copy porte le projet « Vélos et territoires » qui « permet aux lauréats de financer des projets liés à la politique au vélo ». Il prend l’exemple de Belleville-en-Beaujolais, au nord de Lyon, qui proposait de mettre à disposition une flotte de VAE pour les habitants.

… qui bénéficie à toute une économie

Si l’engouement est aussi fort, il n’est pas soudain. D’après l’édition 2020 de l’Observatoire du cycle, publiée en mai dernier par l’organisation professionnelle de la filière Union Sport et Cycle, en 2019, plus de 388 100 VAE ont été vendus, soit 14,6 % du total de tous les types de vélo écoulés. Ce chiffre a augmenté de 12,1 % par rapport à l’année 2018. Le nombre de VAE vendus dans l’ensemble du marché semble réduit, mais selon la même étude, les VAE représentent 45,2 % du poids financier total.

Amaury Beaune en a profité en ouvrant Nobelity en octobre 2018, son magasin spécialisé dans la vente de vélos électriques. Sa boutique tourne aujourd’hui à plein régime, on peine même à se frayer un chemin parmi tous les vélos. Depuis la rentrée ses ventes ont explosé : « on a fait en deux mois ce qu’on a fait en six mois l’année d’avant ». Au magasin Decathlon de la Part-Dieu, Pierre Vammerisse, responsable du rayon cycles, a observé la même chose : « c’est clair que le VAE a été un booster sur ce marché-là et on le voit particulièrement en cette fin d’année, avec la deadline [de la prime] du 31 décembre qui s’approche ».

Cette explosion des ventes n’a pas été sans conséquence sur la chaîne de production. Felix Hébert, gérant de Cyclik, fabrique des vélos électriques en bambou dans le neuvième arrondissement de Lyon. Il fait face à « de gros problèmes d’approvisionnement, avec des périphériques (les pièces détachées comme les freins ou les chaînes, ndlr.) qui ne peuvent pas arriver avant 8 mois ». Il peut fabriquer le cadre, mais parce que certains composants manquent, il doit retarder la livraison des VAE. Amaury Beaune, de Nobelity, indique que « les constructeurs disent qu’on ne pourra passer des commandes que pour 2022 ». Le jeune gérant souffle : « il faut avoir les reins solides ».

Au magasin Decathlon de la Part-Dieu, seuls les modèles d’exposition sont présents dans le rayon cycle, le stock est centralisé pour mieux répondre logistiquement à la demande. La marque propose un premier prix à moins de 800 euros. 17/12/2020 – Photo : Yann Chérel Mariné

« Un élargissement du profil des usagers »

« La prime a eu un effet accélérateur et ce depuis la sortie du premier confinement » souligne Alexandre Dutto, responsable du magasin Velonaute du Cours de la Liberté, spécialisé dans les vélos de randonnées. Dans l’enseigne tapissée de cartes topographiques, Gladys fait la queue avec son fils pour récupérer son vélo électrique acheté en juillet en bénéficiant de la prime de la métropole. Pour ses 40 ans, elle a vu le VAE comme un bon moyen de rallier son domicile situé sur la colline de La Duchère et son lieu de travail à Rillieux-la-Pape. Et aussi « pour emmener mon fils, faire des courses », précise-t-elle.

Les néo-usagers suivent en fait « une multitude de profils-types », analyse Dimitri Marincek, spécialiste du VAE et doctorant à l’Université de Lausanne en Suisse. Une population en pleine diversification avec l’augmentation des ventes. Il analyse qu’au début du VAE, « les usagers d’âge mûr ou à la retraite constituaient la majorité des acheteurs ». Mais cela n’est plus le cas avec la « prolifération des modèles de VAE » : pour les « vélotafeurs », c’est-à-dire les travailleurs comme Gladys, pour les jeunes parents, mais aussi pour le sport avec, par exemple, des VTT à assistance électrique. Le chercheur remarque un « élargissement du profil des usagers » avec « plus de femmes, plus d’adultes en dessous de 40 ans ». Il précise que la part des jeunes adultes « reste cependant plus réduite en raison du coût ».

Margot Abord de Chatillon, chercheuse au Laboratoire aménagement économie transports de Lyon (LAET), vient corroborer cette problématique plus économique : « pour les revenus, c’est clair que les prix moyens sont extrêmement élevés, ça a absolument tiré vers le haut tous les bénéfices de l’industrie du cycle ».

Un engouement qui interroge

Les VAE sont des vélos au prix plutôt élevé : l’Observatoire du cycle a estimé pour 2019 à 1 749 euros le prix de vente moyen. Pour les finances de la métropole de Lyon, l’ensemble des dossiers envoyés pour la prime représenteront au moins 5 millions d’euros de dépenses. Pour l’instant, les élus ont voté une enveloppe financière de plus d’1,8 million d’euros. Ce surcoût a-t-il été envisagé par les élus ? Fabien Bagnon confirme que « cela coûte extrêmement cher à la collectivité », mais s’engage à honorer toutes les demandes. Il prévoit de régulariser le surcoût budgétaire en mars 2021.

Margot Abord de Chatillon, du LAET, s’est spécialisée notamment sur la question de la réparation des vélos. D’après elle, l’argent aurait pu être réparti différemment. Elle prend l’exemple du « Coup de Pouce Vélo » un plan du ministère de la Transition Écologique et Solidaire. Avec 50 euros d’aide par personne, et « un volume global de 60 millions d’euros, ils ont réussi à faire réparer des centaines de milliers de vélos », indique-t-elle. Pierre Vammerisse, de Decathlon, y voit « clairement une aide au commerce », et rajoute : « mais en tant que personne qui paie des impôts… ». Puis il s’abstient, en mimant les billets de banque jetés en l’air. 

Cette critique est également formulée par l’association Le Chat Perché, un atelier d’auto-réparation qui, dans un post publié sur leur site en octobre dernier, disait militer pour le « VAE sur ordonnance ». L’association, qui n’a pas souhaité nous répondre, fustige un engin électrique « cher à l’achat » et le coût environnemental du lithium dans les batteries.

Les membres de l’atelier participatif Le Chat Perché viennent réparer leur vélo. L’association située dans le septième arrondissement de Lyon s’oppose notamment à la prime de la métropole pour les vélos électriques, qu’ils considèrent polluants. 16/12/2020 – Photo : Danae Corte

Dimitri Marincek, explique : « il existe de grandes controverses sur la provenance des éléments permettant de fabriquer les batteries (métaux rares, etc.) ». Mais il nuance en indiquant que le vélo électrique « échappe largement à ce débat » avec une consommation électrique très nettement inférieure : « on estime qu’un VAE sur 100 km consomme environ 1 kWh, soit 10 à 20 fois moins qu’une voiture électrique ».

Dans ce cas, pourquoi ne pas avoir généralisé la prime à d’autres systèmes de micromobilité ? Sébastien Royer, gérant du magasin de trottinettes électriques Wattmob, explique qu’il n’y a pas d’aides qui le concerne : « c’est un produit encore trop méconnu, même par nos élus. Dans la tête des gens, c’est naturellement le vélo qui prime ! ».

Pour les acheteurs et les professionnels, c’est la question de l’avenir de l’aide qui est posée. Fabien Bagnon nous renvoie à mars prochain, le temps de réfléchir à une nouvelle prime échelonnée en fonction du revenu fiscal de référence. Il souhaiterait également élargir le dispositif aux « vélos secs » (non électriques), et  envisage « une limite pour les vélos très coûteux ». Il explique : « on est sous contrainte budgétaire, les arbitrages sont en cours et sont déjà douloureux, notamment sur les frais de fonctionnement qui ont explosé avec le RSA, mais on a quand même de très bons arguments pour ne pas l’arrêter ». Quant aux aides déjà allouées, il l’assure : « on va trouver les sous, par contre on ne mettra pas 14 000 fois 450 euros ».