Derrière l’enthousiasme des Jeux paralympiques, la France a encore beaucoup de travail pour garantir l’accès au sport aux personnes handicapées. Exemple à Lyon, où l’entraînement d’une équipe de foot fauteuil rappelle les joies et les obstacles que vivent les parasportifs au quotidien.

« Ça fait loin de venir jusqu’ici, en plus je me suis pris la pluie. Mais c’est génial ! » Le sourire aux lèvres, Zackaria ne manquerait pour rien au monde l’entraînement hebdomadaire de foot fauteuil du club du handisport lyonnais. Chaque jeudi à 16h30, le jeune homme de 21 ans fait le trajet depuis Tassin-la-Demi-Lune. Il retrouve ses coéquipiers de l’équipe 2 au gymnase Elsa Triolet, mis à disposition gratuitement par la ville de Vénissieux. S’ensuit une session de football adapté, avec deux équipes de quatre joueurs qui s’affrontent dans des fauteuils électriques.
Le foot fauteuil est un sport jeune, pensé à Lyon dans les années 1980. Ce n’est que 20 ans plus tard que la discipline s’est institutionnalisée aux États-Unis. Dans l’équipe qui s’entraîne ce jeudi, la plupart des joueurs ont des pathologies sévères, comme la myopathie de Duchenne, maladie génétique qui ne touche que les hommes. « On a chacun nos spécificités alors ils nous ont dit de venir avec un auxiliaire », précise Mustapha. Lui est venu avec Zouber, jeune auxiliaire bénévole, mais il peut s’agir d’un proche comme le père de Zackaria. Philippe Martin, salarié à mi-temps au club, s’inquiète justement qu’il soit « de plus en plus difficile de trouver des bénévoles ». Mobiliser des entraîneurs et des accompagnants représente un défi parmi d’autres pour la démocratisation du sport chez les personnes en situation de handicap.
« Un fauteuil de ce type coûte 16 000 euros »
Avec l’organisation des Jeux paralympiques à Paris l’an dernier, le handisport a été médiatisé d’une manière inédite dans le pays. Une enquête de l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (INJEP) révèle pourtant que trois personnes handicapées sur cinq, âgées de 15 à 64 ans, ne pratiquent pas d’activité physique ou sportive régulière, un taux deux fois inférieur à la moyenne nationale. « Ce n’est pas parce qu’on décrète la révolution inclusive qu’elle a lieu », souligne le sociologue du sport Sylvain Ferez. Un retard qu’il explique en partie par la « culture française peu sensible à la diversité, à l’inverse de pays anglo-saxons ». Il arrive alors que « le principe d’égalité construise de l’inégalité ». Quant à l’engouement lié aux Jeux paralympiques, il avertit : « L’afflux de nouveaux pratiquants peut ne pas être suivi dans les faits par une offre de structures, d’entraîneurs ou de matériel suffisante. »

Le difficile accès au matériel est un des freins à l’accès au sport pour les personnes en situation de handicap. Et quand il n’existe pas, il faut l’inventer. C’est ce qu’a fait Yann Dézou, moniteur de kitesurf en Guyane. Il a développé un harnais spécialisé, qu’il a commercialisé cette année, en parallèle des sessions de kitesurf qu’il réalise avec des personnes en situation de handicap. D’autant plus qu’il observe des effets thérapeutiques : « On a par exemple eu une petite fille qui n’arrivait pas à se redresser. Au bout de deux séances, elle a pu se verticaliser à 90 degrés ! ».
Dans le foot fauteuil aussi, l‘accès au matériel est un enjeu. Les strikes, fauteuils spécialisés sont utilisés. Ils sont plus adhérents et ont des pare-chocs à l’avant pour propulser le ballon. « Un fauteuil de ce type coûte 16 000 euros », assure Philippe Martin. « Il n’est pas remboursé par la Sécurité sociale, donc il faut trouver des financements », ajoute-t-il.
« C’est une hypocrisie de croire que les Jeux paralympiques vont changer les choses »
En 2023, Amine Souabni, entraîneur de l’équipe 2 à Lyon, devient champion du monde avec la France. Cette victoire représente « l’accomplissement d’une vie » pour ce sportif atteint d’amyotrophie spinale. Il regrette toutefois le « manque de reconnaissance » d’une discipline qui n’est pas au programme des Jeux paralympiques.
Au-delà du problème de la représentation des disciplines, le sociologue Flavien Boutet élargit, dans son article « Comment contester les Jeux paralympiques ? », les critiques sur l’événement. Contacté, il met en garde contre la surmédiatisation de la compétition, souvent peu suivie de politiques d’inclusion et d’accès au sport en tant que loisir. En clair, « c’est une hypocrisie de croire que les Jeux paralympiques vont changer les choses si l’on n’élargit pas l’accès aux espaces sociaux ».
Anouck Curzillat a expérimenté ce validisme quand elle a commencé le para triathlon : « La première fois que je suis allée à la piscine du Rhône, on n’a pas voulu me laisser entrer avec mon chien guide », rappelle la médaillée de bronze aux Paralympiques de Tokyo. Il a fallu qu’elle s’appuie sur la loi de 2005 relative à l’égalité des droits et des chances, pour garantir sa présence. Elle reconnaît que l’accès aurait pu être refusé « à celui qui connaît ses droits mais qui ne se bat pas ».

Pour les joueurs de foot fauteuil lyonnais, les difficultés sont surtout liées au déplacement jusqu’au gymnase de Vénissieux. Ensuite, le seul enjeu, c’est de se donner sur le terrain. « Abdel reste sur le côté ! », lance Amine. Après avoir donné sa consigne, l’entraîneur-joueur fait alors pivoter son fauteuil pour lui délivrer une passe qui aurait pu être décisive. Mais Abdel ne réussit pas à enchaîner avec un tir dans le but ouvert. Fin de partie, après une heure trente de jeu.