En grève depuis le 6 janvier, le barreau lyonnais a approuvé en Assemblée Générale, le jeudi 16 janvier, une « grève dure et illimitée » pour protester contre la réforme de leur caisse de retraite autonome. Selon les avocat.e.s, cette réforme aura un effet collatéral : restreindre l’accès au droit pour les citoyen.ne.s.

Sit-in silencieux des avocats du Barreau de Lyon en grève contre la réforme des retraites, le 12 janvier 2020. Au mur, un collage indique : « Belloubet m’a tuer ». Lyon, 12/01/20 © Théo Uhart

Il règne un silence pesant dans la salle des pas perdus du tribunal judiciaire de Lyon. C’est le huitième jour de grève du barreau. Les avocat.e.s ont organisé un sit-in pour protester contre la réforme des retraites. En colère, ils ont remplacé leur habituel col blanc par un rabat rouge. Sur le mur vert, se détache le slogan placardé par les avocat·es : « Belloubet m’a tuer ».

En cause ? La réforme du système de retraites qui « pourrait conduire à la disparition des petits cabinets », attaque Anne Portier, avocate au barreau de Lyon. Elle poursuit : « La réforme consacre l’augmentation exponentielle des honoraires. Si on a des charges qui augmentent, on sera obligé de le reporter sur le justiciable. L’accès au droit est mis en péril ».

Actuellement, le régime de retraite garantit à chaque avocat.e une retraite de 1430 euros mensuelle. Avec le régime proposé par le gouvernement, indexé sur les revenus, le minimum retraite passerait à 1000 euros mensuel. Dans le même temps, le Conseil National des Barreaux estime que les charges vont passer de « 14% à 28% » pour les plus petits cabinets. Impossible de vérifier ces chiffres du côté du gouvernement, dont le simulateur n’est pas encore disponible. La porte-parole du ministère de la justice Agnès Thibault-Lecuivre botte en touche : « Ce sont des choses très fines, faites en lien avec le secrétaire d’État chargé des retraites ».

Un mouvement déjà historique

Depuis 1947, jamais une grève du barreau n’avait été aussi longue. Le 16 janvier, l’assemblée générale a même voté la prolongation illimitée de la grève dure. Depuis 10 jours, les avocat.e.s demandent systématiquement le renvoi des audiences et n’assistent plus aux comparutions immédiates. « En 30 ans de service, je n’ai jamais vu ça, confie une greffière du tribunal correctionnel. C’est très rare que le mouvement dure autant, on a plus l’habitude de mouvements sporadiques ». Dans les étages du Palais de justice, Rémi, la trentaine, attendait son audience de divorce. En grève, son avocate l’a informé qu’elle demanderait le renvoi de l’audience. Bien qu’ennuyé par le report, Rémi reste compréhensif : « tout le monde en a marre, personne ne nous écoute ».

Parmi leurs revendications, les avocat.e.s mettent l’accent sur l’autonomie de leur régime. Cela leur garantit une indépendance nécessaire à leur profession selon eux. L’entrée dans le régime à point, directement défini par le gouvernement, génère une inquiétude. « Cela pourrait jouer sur notre indépendance », s’inquiète Léa Bourrel, représentante du Jeune Barreau. A l’heure actuelle, la ministre de la justice assure cependant qu’ils conserveront une caisse autonome.

Axelle Louis (à gauche) et Léa Bourrel (droite), deux des huit représentantes du Jeune Barreau de Lyon, en grève depuis le 6 janvier. Lyon, 14/01/20 © Théo Uhart

Pas de quoi rassurer les avocat.e.s lyonnais.es. Réuni en Assemblée Générale, le barreau lyonnais a voté une réponse économique forte : il demande officiellement au Conseil National des Barreaux de ne plus reverser la TVA perçue par les avocat.e.s à l’État. Une manière de « toucher directement l’État et moins directement le justiciable » pour se faire entendre, assume Anne Portier.

Une réforme de plus, la réforme de trop ?

La colère est nationale, et le mouvement inédit. Les avocat.e.s n’ont pas manqué d’imagination pour faire parler de leur mouvement. Inspiré.e.s par leurs homologues lillois, les avocat·es de Lyon ont pendu leur robe dans le tribunal le lundi 12 janvier à l’ouverture du très médiatique procès du Père Preynat, accusé d’abus sexuels sur mineurs. La veille, c’est la « grève du zèle » qui avait été choisie. Alors que le juge des libertés et de la détention devait statuer sur les dossiers d’étrangers en situation irrégulière, « il a laissé les avocats plaider pendant trois heures sur un cas », explique Axelle Louis, également représentante du Jeune Barreau. Cela l’a conduit à prononcer les jugements hors des délais légaux, « une façon de soutenir notre mouvement », analyse la jeune avocate.

Le mouvement est d’autant plus suivi que les avocat.e.s ont eu du mal à se faire entendre lors des dernières réformes, notamment lors de la refonte des procédures civiles ou la fusion des tribunaux d’instance et de grande instance. « Je ne voudrais pas que, dans 15 ans, on vienne nous dire que c’est impossible d’avoir accès à un avocat sans dépenser 5000 euros, explique l’avocate Aurélie Poli. On fait grève parce qu’on n’a pas le choix ».

Théo Uhart