Chantiers à l’arrêt, chute du chiffre d’affaires, mesures sanitaires contraignantes… Dans le Rhône, le secteur du BTP a été particulièrement affecté par les mesures gouvernementales prises pour endiguer l’épidémie de coronavirus depuis mars 2020. Les travailleurs intérimaires sont en première ligne. 

Depuis la fin du premier confinement, l’agence d’intérim Morgan Service a de nouveau ouvert ses portes dans le 7ème arrondissement de Lyon. L’activité reste ralentie. En 30 minutes sur place, aucun intérimaire à l’horizon. © Niel Kadereit. 16 Décembre 2020

« J’étais angoissé quand je ne trouvais plus de missions, j’ai fait une dépression », soupire David, 33 ans, manutentionnaire dans le BTP. Lors du premier confinement du 17 mars 2020, décrété par le gouvernement pour lutter contre l’épidémie de coronavirus, le secteur était à l’arrêt. Depuis, malgré une reprise progressive, l’activité tourne au ralenti. Alors que 85% des entreprises de BTP avaient cessé totalement leur activité lors du premier confinement, la crise n’en finit pas d’affecter le secteur. En Auvergne-Rhône Alpes, l’emploi intérimaire dans le secteur du BTP avait diminué de 18,6 % en octobre 2020 par rapport à l’année précédente. Face à la situation, les entreprises BTP et les agences d’intérim s’organisent pour se maintenir économiquement. Au risque de laisser pour compte leurs intérimaires. 

Instauré en 1972 comme un statut d’exception permettant de remplacer un salarié absent, l’intérim s’est depuis normalisé sous l’effet de la loi Borloo de 2005. Organisé autour d’une relation triangulaire entre travailleur, agence d’intérim et entreprise BTP, il permet aux entreprises de minimiser considérablement le coût de gestion des ressources humaines. Alors, lors d’une conjoncture économique défavorable, « l’intérim est leur variable d’ajustement », soutient Émeline Baume, vice-présidente de la Métropole de Lyon déléguée à l’Économie et à l’Emploi, interrogée par l’Écornifleur. « Il faudrait que ce soit autrement mais, pour cela, nous devons mieux allotir notre commande publique. Ce ne sont pas les petits artisans qui ont recours à de l’intérim », complète l’élue. Pour appuyer la reprise du secteur BTP, elle souhaite soutenir en priorité ces entreprises locales, afin d’encourager l’emploi salarié, et refaire de l’intérim une exception. 

« On a quelques chantiers, mais tout tourne au ralenti »

Malgré la reprise des chantiers et la possibilité de pouvoir à nouveau trouver des missions, la situation reste critique pour de nombreux intérimaires. David travaille en intérim à DMS depuis octobre : « La semaine passée, je n’ai pu faire que deux jours de travail parce qu’ils m’ont dit qu’il y avait un manque d’activité. Parfois ils arrêtent les intérimaires ». Une situation qui pèse sur ses revenus, puisqu’il souligne avoir besoin de travailler un mois entier pour s’en sortir. Depuis la reprise de l’activité, les entreprises du BTP tentent de se maintenir économiquement. Elles embauchent moins en intérim et pour des missions plus ponctuelles. « J’ai perdu du revenu, parce que je n’ai eu que des missions qui étaient des 45 heures par mois », témoigne Étienne, 37 ans, intérimaire en maçonnerie dans le BTP depuis 5 ans. Certains chantiers débutés avant le confinement n’ont pas encore été finis, tandis que les carnets de commandes ne s’épaississent pas. Larbi, 27 ans, ouvrier démolisseur à DMS souligne : « On a perdu entre 40 et 60% d’activité. On a quelques chantiers mais tous sont ralentis. C’est une pression que l’on ressent au boulot ».

Les entreprises du BTP ont observé une baisse importante de leur chiffre d’affaires depuis le début de l’épidémie. « On a perdu environ 10% de notre chiffre d’affaires soit 150 000 €, c’est énorme », affirme Alain Lachana, directeur de l’entreprise Lachana Construction, qui compte 50 salariés. Si cette entreprise a pu limiter les pertes, c’est parce qu’elle a continué de travailler pendant le confinement. Pour soutenir les entreprises du BTP, le gouvernement a récemment pris des mesures : un fond de solidarité de 510 millions d’euros, des prêts garantis ou encore des reports de charges. « Les reports de charges, ça ne change rien, il faudra bien payer à un moment », déplore cependant Alain Lachana, dont l’entreprise n’a pas subi assez de pertes pour pouvoir prétendre aux autres aides du gouvernement. Alors face à la situation, de nombreuses entreprises ont dû puiser dans leur trésorerie pour se maintenir à flot. 

Des contraintes sanitaires pesantes

Pour continuer leur activité, les entreprises du BTP ont dû s’adapter aux nouvelles contraintes sanitaires. « On a entre 3 et 5% de surcoût à cause de toutes ces mesures sanitaires », témoigne le directeur de Lachana Construction. Il explique avoir dû investir dans l’achat de masques, de gels hydroalcooliques et adapter le travail sur les chantiers, ce qui affecte la productivité. « Avant, pour les chantiers éloignés, les intérimaires se retrouvaient tous au dépôt, et le client les amenait ensuite sur le chantier. Maintenant, pour éviter qu’il n’y ait trop de passage au dépôt, le rendez-vous se fait directement sur le chantier. Du coup les intérimaires qui n’ont pas de voiture ne peuvent pas travailler sur ces chantiers », détaille Florent, qui travaille depuis trois ans au sein de l’agence d’intérim LIP, dans le 7ème arrondissement de Lyon. 

Difficultés à appliquer les gestes barrières, manque de moyens et d’informations… La situation reste critique sur les chantiers. « Un ouvrier dans le BTP ne peut pas garder un masque pendant 4 heures, il lui faut beaucoup de masques pendant la journée », raconte Geneviève-Anastasie Alifa, représentant syndical intérimaire chez Manpower. Il regrette aussi un manque de communication sur les mesures sanitaires de la part de l’agence auprès de leurs interims : « ils n’osaient pas aller en mission, car ils n’étaient pas informés sur les mesures sanitaires ». Si la situation s’est améliorée, l’inquiétude persiste. « On a toujours cette peur d’aller travailler, presque tout le monde a eu le COVID », confie Roger, 29 ans, étancheur en intérim pour MZR.

Distanciation sociale oblige, les agences d’intérim ont dû passer au numérique. Une transition qui a coûté cher à certains intérimaires, affirme Geneviève-Anastasie Alifa : « à Manpower, ils avaient l’habitude de recevoir tout par papier. Ils n’ont pas été réactifs pour transmettre par mail les documents dont avaient besoin les intérimaires pour avoir le droit au chômage, ce qui fait que beaucoup se sont retrouvés dans une situation compliquée. »  Larbi, intérimaire, a vécu ce problème du passage au numérique, mais avec Pôle Emploi : « je suis tombé sur un conseiller qui était au fin fond de la campagne et qui recevait très mal les appels donc ça été très long, j’ai dû attendre plus d’un mois et demi avant de percevoir le chômage ». Alors, entre la longueur de la démarche et la perception de son chômage, il peine à vivre. « J’ai dû puiser sur toutes les réserves parce qu’il fallait survivre. Quand t’as 800 euros de factures qui passent et que tu n’as pas de revenu, un mois tu survis mais le deuxième mois… c’est très dur », complète-il.  

Dans le BTP, la casse est avant tout sociale 

En mars, de nombreuses entreprises décident de mettre fin prématurément à leurs contrats, ou de ne pas renouveler les missions des intérimaires. « Pour éviter de licencier nos salariés, on a renvoyé tous nos intérimaires. Parce qu’ils coûtent plus cher aussi », soutient le directeur de Lachana Construction. Une pratique courante, explique Étienne, qui soupire : « J’ai perdu une mission avec Creatis le 17 mars, le jour où Macron annonce qu’il va y avoir un confinement ». 

La majorité des intérimaires du BTP s’est donc retrouvé sans activité entre mars et avril. De longs mois sans revenu, et pour certains sans filet puisque tous n’ont pas droit au chômage (pour le toucher, un intérimaire doit avoir travaillé 130 jours sur 24 mois). Larbi, en intérim depuis un an et demi, a pu compter sur ses emplois précédents pour toucher le chômage. « Je me suis présenté à Pôle Emploi pour la première fois, ce qui était totalement humiliant », explique-t-il. « C’était presque une dépression… je me suis retrouvé à boire tout seul, ce que je n’ai jamais fait de ma vie avant », souffle-t-il. 

À l’agence LIP, un intérimaire passe en coup de vent récupérer sa fiche de paie et son certificat de travail avant les fêtes. Florent, l’employé de cette agence d’intérim du 7ème arrondissement de Lyon, lui tend une peluche. Un gros nounours marron, cadeau de Noël offert à tous les intérimaires de l’agence. « Pour une fois que l’on me fait un cadeau… », ironise le cinquantenaire.